Un ralentissement de la prise de risques académiques nous laissant croire que les épreuves, réussies jusqu’à présent avec brio, ne sont que des mirages, bravées de façon hasardeuse, relevant d’une sorte de chance incontrôlable… Après tout ce n’est peut-être que chatgpt qui, nous ayant tenu la main toutes nos études, devrait se voire féliciter d’un diplôme et d’un bon job ? Basé sur des publications scientifiques ainsi qu’une petite enquête menée auprès d’étudiantes et étudiants, cet article vise à comprendre le pourquoi du comment du syndrome.
Théorisé en 1978 par deux psychologues américaines, Clance et Imes, le syndrome de l’imposteur est un phénomène psychologique basé sur la mésestime de ses compétences et de son mérite, défini comme « an internal experience of intellectual phoniness ». Vivre avec ce syndrome c’est avoir la peur constante d’être démasqué en tant que fraudeuses et fraudeurs, et attribuer son succès à de la chance, des bonnes relations ou un travail (un peu trop) forcené. Les « imposteurs» souffrent, à tort, d’une attitude excessivement critique envers leur travail ainsi que d’une impression de ne pas appartenir à leur environnement.
Ce syndrome on le retrouve particulièrement en filière STEM, dans les domaines des sciences, technologie, ingénierie et mathématiques. Nous sommes donc directement tous et toutes plus ou moins des imposteurs imaginaires, inventés et subis à différents degrés. Sur le sujet il existe des centaines d’articles universitaires et des explications allant du podcast aux discours inspirants des conférences TED, démêlant le pourquoi du comment STEM et IP (impostor) sont filière et syndrome amis.
De nombreux facteurs sont responsables de la présence du syndrome de l’imposteur en science et technologie. Certains sont là bien avant le début des études et sont liés à l’éducation et au milieu familial, d’autres apparaissent avec le temps, durant l’apprentissage, voir après, quand on fait de la recherche ou qu’on a son premier job.
Etudes en STEM riment avec persévérance, remise en question et compétition. Les études sont longues, après cinq, six années de formation on se sent comme un marathonien essoufflé et suant ses connaissances ruisselantes dont on a l’impression de ne pas garder grand-chose en bout de parcours. Plus cela dure, plus la rigueur de ce qui est appris s’accroît et plus le doute a de la place pour s’installer confortablement. Après avoir sondé un échantillon d’étudiants et étudiantes, une majorité s’accorde à dire qu’il y a une forte pression pour être constamment performant et une grande partie des personnes questionnées attribue leurs bonnes notes ou leurs réussites à des facteurs externes comme la facilité de la tâche ou l’aide des autres, relevant le problème de légitimité qu’ont les étudiantes et étudiants à s’accorder la réussite d’une tâche ou d’une épreuve.
Une fois au bout de cette course effrénée, certaines et certains se lancent dans un doctorat. Et là, se met souvent en place une hiérarchie très verticale entre le doctorant, la doctorante et le directeur ou la directrice de thèse. Les heures de travail peuvent s’étendre infiniment et sont souvent auto-imposées en raison de la pression des pairs, de la comparaison avec les autres, et de l’impression de ne pas assez publier. La culture labo « toxique » peut exacerber le syndrome de l’imposteur.
Une caractéristique importante et spécifique au milieu scientifique et pilier de l’incertitude : souvent il n’existe pas de réponse exacte, et la plupart du temps, les expériences ratent avant d’être concluantes, provoquant un cercle vicieux où l’échec est interprété comme un manque de compétences plutôt que comme un problème inhérent au projet. Parallèlement, tout l’univers scientifique est bercé par une narration de l’exception, de l’inné, de l’enfant prodigue né ou née génie maîtrisant l’art des mathématiques et de la logique scientifique dès son plus jeune âge. Les domaines STEM seraient – dans l’imaginaire collectif – réservés à des apprenantes et apprenants précoces dotés de capacités innées décourageant celles et ceux qui doutent de leurs compétences cognitives, qui doivent travailler « plus » ou qui ne comprennent pas du premier coup.
Dans les autres facteurs intensifiant le syndrome de l’imposteur on compte : le stress financier, le sentiment d’être un étranger à son milieu – lié aux origines raciales, aux identités de genre, aux neuro-diversités ou à un statut d’immigration. Le manque de représentativité dans l’école (professeur·es, assistants·es), le labo (doctorant·es, superviseurs·euses) et plus directement dans les groupes d’amis, alimente l’imposture.
Finalement, le syndrome de l’imposteur naît quand, sur une bonne base d’incertitude et de remise en question, vient se poser la remarque de trop, émise par une ou un professeur, une ou un assistant, cristallisant le doute qui deviendra un bagage dont il faudra se délester au plus vite.
Réponse aux questions - Sondage auprès de la communauté EPFL
- Comment le syndrome de l’imposteur se manifeste-t-il dans votre quotidien ? A-t-il un impact sur vos objectifs professionnels ?
Il se manifeste lorsque j’évalue les tâches à accomplir, que je me compare à mes collègues ou que je prends conscience de mon manque de passion absolue pour mes études.
Plutôt qu’un véritable obstacle, c’est un frein qui me demande un travail supplémentaire sur moi-même au quotidien.
Dans mon cas, cela reste un phénomène ponctuel, parfois amusant lorsque je me retrouve en situation d’assistanat.
Je ne le ressens pas personnellement, mais je l’observe chez mon conjoint à certains moments.
Il se manifeste surtout lors de projets de groupe ou de discussions techniques où je doute de ma légitimité à maîtriser certains sujets. J’essaie néanmoins de prendre des décisions sans me laisser envahir par l’incertitude, en adoptant une approche expérimentale : essayer et voir ce qui en ressort.
- Vous souvenez-vous d’événements spécifiques où vous avez ressenti le syndrome de l’imposteur ?
Cela m’est arrivé lors de projets académiques particulièrement exigeants, où la recherche était approfondie. Il était difficile de me convaincre que je possédais suffisamment de connaissances pour faire confiance à mon intuition.
J’ai ressenti ce sentiment lorsque j’ai obtenu de meilleures notes que certaines personnes ayant pourtant travaillé plus que moi.
Pendant mon master à l’EPFL, surtout au moment de chercher un futur professionnel, j’ai souvent eu l’impression de ne pas être à la hauteur des autres étudiants.
- Pensez-vous qu’il soit possible de surmonter le syndrome de l’imposteur ? Si oui, comment ?
Peut-être en normalisant l’idée qu’il est acceptable de ne pas être passionné à l’extrême par ses études.
En dépassant la phase initiale du biais de Dunning-Kruger*et en développant une perception plus équilibrée de ses compétences.
Oui, en s’entraînant à se répéter qu’il est légitime d’avoir confiance en soi et en acceptant progressivement cette idée.
* Il s’agit d’un biais cognitif, c’est-à-dire d’une distorsion de la réalité, selon lequel la personne qui en est atteinte pense être compétente sur un sujet alors qu’elle n’a aucune qualification. L’effet Dunning-Kruger se caractérise par le fait que ces personnes sont incapables de reconnaître leur incompétence.
Women in STEM, les femmes plus touchées ?
Un peu plus de la moitié des femmes ingénieures déclarent ressentir ce syndrome et même 63% des étudiantes qui s’orientent vers ce métier. Les causes du syndrome peuvent prendre racine dans l’enfance, à l’école, pendant les études, et dans la vie professionnelle. Dans le cas des femmes ingénieures ce sont les stéréotypes de genre qui pèsent, stipulant que les femmes seraient plutôt faites pour les métiers littéraires et non scientifiques.
En 2024 l’EPFL comptait 7’878 étudiants contre 3’583 étudiantes soit 31,26% seulement. Les femmes pendant leurs études sont donc en minorité et la plupart affirment avoir déjà subi des commentaires rabaissants sur leurs capacités en maths et en physique, il suffit de faire un tour rapide sur @payetonepfl pour lire quelques témoignages.
« En BA2 durant une séance d’exercice d’analyse pour mathématicien·nes l’assistant principal a affirmé à toute la salle que ‘c’est un fait les filles sont moins fortes que les garçons en maths’ ».
Dans sa conférence, la chercheuse Swathi Shyam Sunder partage son parcours et nous aide à comprendre l’impact du syndrome de l’imposteur en tant qu’étudiante et employée en STEM, plus précisément en sciences computationnelles et programmation. Elle évoque évidemment le manque de représentation féminine dans ce domaine, soulignant le biais de majorité – l’adoption des comportements et des choix décidés par la majorité, en l’occurrence dans ce domaine, les hommes. Elle mentionne le doute et et l’hésitation à prendre la parole, se demandant si elle a sa place dans cet environnement.
Les femmes sont en effet particulièrement sujettes au syndrome de l’imposteur, un phénomène qui apparaît fréquemment dès les études supérieures. Lors de ses premiers entretiens d’embauche, la question récurrente « Quelle est votre plus grande faiblesse ? » conduisait Swathi à admettre un manque de confiance en elle, un aveu souvent éliminatoire. Elle débute sa carrière en tant que développeuse dans une entreprise où la diversité est encore plus faible, nourrissant son sentiment de marginalité. Selon le rapport du Forum économique mondial, les femmes ne représentent que 29 % des employés dans les secteurs STEM, un chiffre qui renforce le sentiment d’être une « outsider ».
Après son premier poste et son intégration dans une équipe majoritairement masculine, elle se sent parfois exclue des informations pertinentes, ce qui alimente une impression de frustration et de « FOMO » (fear of missing out).
Pour surmonter le syndrome de l’imposteur Swathi nous donne trois conseils qu’elle applique désormais dans son quotidien : Renforcer sa confiance pour s’imposer devant ses collègues masculins, en assumant ses idées avec davantage de conviction. (Évidemment plus facile à dire qu’à faire). S’investir dans des programmes visant à soutenir les femmes et à encourager leur émancipation professionnelle et finalement devenir cheffe d’équipe pour servir de modèle et d’alliée à d’autres femmes.
Enfin, le Forum économique mondial rapporte que seulement 12 % des femmes occupent des postes de direction dans les entreprises technologiques. Selon des études psychologiques publiées en 2021, les femmes sont moins souvent promues que les hommes, car elles doivent prouver qu’elles peuvent réussir à un certain poste avant d’être promues, contrairement aux hommes qui sont souvent promus en raison de leur potentiel perçu. Cette inégalité crée une pression énorme sur les femmes, qui doivent constamment démontrer leurs compétences passées et présentes, tandis que les hommes sont jugés selon leur avenir et leur capacité à diriger.
Bibliographie
- Lipomi, D. (n.d.). Mental health, anxiety & impostor syndrome as a student in STEM – Prof. Darren Lipomi UC San Diego [Transcription de vidéo]. YouTube. Repéré sur la chaîne YouTube Darren Lipomi.
- Orbe’-Austin, L. et Orbe’-Austin, R. (n.d.). The Imposter Syndrome Paradox | Lisa and Richard Orbe’-Austin | TEDxDeerPark [Transcription de vidéo]. YouTube. Repéré sur la chaîne YouTube TEDx Talks.
- Shyam Sunder, S. (n.d.). Why women in STEM feel imposter syndrome | Swathi Shyam Sunder | TEDxMAHE Bengaluru [Transcription de vidéo]. YouTube. Repéré sur la chaîne YouTube TEDx Talks.
- Amoa-Danquah, P. (2023). An Exploration of Impostor Syndrome in STEM and STEM Self-Efficacy in Adolescent Learners from a Teacher’s Perspective. European Journal of STEM Education, 8(1), 04. https://doi.org/10.20897/ejsteme/13303
- Chakraverty, D. (2022). Faculty Experiences of the Impostor Phenomenon in STEM Fields. CBE—Life Sciences Education, 21, ar84. https://doi.org/10.1187/cbe.21-10-0307
- Lee, H. Y., Anderson, C. B., Yates, M. S., Chang, S. et Chakraverty, D. (2022). [Titre non spécifié explicitement dans l’extrait, sujet principal : étude psychométrique de l’échelle du phénomène de l’imposteur de Clance (CIPS)]. Current Psychology, 41, 5913–5924. https://doi.org/10.1007/s12144-020-01089-1