Retour sur expérience : EPFL+COVID

17 novembre 2023
Jeanne Charlot
Campus désert, visages masqués, interactions sociales zoomées… Aujourd’hui tout cela semble lointain mais on s’en souvient et on en garde les traces. Qu’est-ce que le COVID a laissé ? Comment la communauté étudiante a-t-elle vécu ce long passage à vide ? Qu’est ce qui a changé, dans nos routines, notre approche de l’apprentissage ? Témoignages.

Mars 2020, soudaine prise de conscience, panique générale. Étudiantes et étudiants au radar on ne comprend que peu la tournure que prennent les choses. Pris dans le microcosme epflien quasi coupé de l’actualité, c’est via les familles, les habitants chez qui l’on vit que l’on se rend compte.. Dans les couloirs du campus on remarque les affiches qui gentiment nous préviennent « RENTREZ CHEZ VOUS », on aurait presque pu croire à une campagne UDC.

Tout s’arrête.

Alors on se fait une raison… On aura quand même bien profité d’un campus animé comme on ne le voit plus aujourd’hui.
On remballe nos affaires, on laisse derrière nous comme un petit monde pour retourner chez ceux que l’on a quitté quelques années ou quelques mois plus tôt, on ne sait plus trop. Pas vraiment sûre de ce que ça pourrait donner, il va falloir arrêter de fumer, de boire, de danser toute la nuit. Maintenir un rythme de travail malgré des airs de vacances. Profiter du frigo rempli et d’un certain confort de la non charge mentale. Se laisser aller finalement.

Pendant quasiment 2 ans, 3 semestres un peu plus, le covid-19 sars-cov muté mutant a changé radicalement notre mode de vie d’étudiant. (Du monde entier évidemment mais quand on est étudiant le monde ne tourne-t-il pas autour de nous ?)

Annonce

En mars 2020 l’EPFL annonçait une fermeture totale du campus. Nous avions reçu ce mail « Au vu de la situation actuelle, la Direction de l’EPFL a décidé aujourd’hui de prendre de nouvelles mesures pour limiter la propagation du COVID-19. Ainsi, tous les cours de demain, vendredi 13 mars 2020 sont supprimés. » Comment vous avez vécu ce moment ?

  • Nicolas* : J’étais à l’AGEPoly durant ma deuxième année de bachelor, on a tous été prévenus à l’avance des décisions de l’EPFL, on savait la tournure qu’allaient prendre les choses. Pile à cette période ont habituellement lieu les week-ends ski, il y avait quelques étudiants présents à ces week-ends qui venaient de Milan. On se doutait que leurs états grippaux étaient louches. Ça n’a pas loupé : on est tous et toutes tombés malades après. Ça a été le début de la fin [rires].

    Lorsque la nouvelle de la fermeture de l’EPFL est tombée, nous pensions que cela ne durerait que quelques semaines, tout le monde était ravi de partir en « vacances ».

    Pour être transparent, on avait organisé dernière minute une grande fête avant la fermeture du campus  « la soirée avant la fin du monde », toutes les associations s’étaient réunies ce soir-là. Nous étions tous liés par cet évènement qui signait la fin de nos activités.

  • Théo* : De mon côté j’étais en première à ce moment de l’année, en début de mise à niveau. Avec mes potes on était sur un rythme soutenu de travail. On ne loupait aucun cours (et aucune soirée). Ça nous a mis un gros coup de stress la fermeture de l’EPFL, on se sentait arrêté en bonne lancée et en même temps planait l’espoir que les examens de màn soient annulés.
  • Pierrot* : Lors de la fermeture de l’EPFL et jusqu’aux examens de fin août, je conservais une certaine distance avec le côté dramatique des évènements.

    Vivre avec des rues désertes, un lac abandonné et l’EPFL fermé me semblait être une expérience fascinante.

Quitter les lieux

Comment s’est déroulé le reste de votre semestre après l’annonce fatidique ?

  •  P: Plutôt que de rentrer immédiatement chez moi, j’ai attendu jusqu’à mi-juillet, je ne me sentais pas si mal à Lausanne. En réalité je faisais déjà partie de ces étudiants qui bossent de manière indépendante, j’ai à peine senti la transition présentiel – cours en ligne. Initialement ravi d’avoir un peu de tranquillité, je vivais au sous-sol chez une logeuse, mais cela s’est rapidement avéré étouffant. J’ai finalement regagné le domicile parental mi-juillet.

    Je n’ai pas particulièrement mal vécu les examens au mois d’août, le plus dur a été l’enchaînement sans transition avec le semestre d’automne 2020.

  •  N: Pendant la pandémie je suis resté dans ma colocation, Je vivais avec deux amis dans un appart spacieux, c’était le pied. Nous passions nos journées à cuisiner, faire du sport, regarder la télévision ou jouer à des jeux ensemble. Mes voisins étaient de bons amis, donc même pendant les restrictions, nous organisions des dîners et des soirées ensemble.Nous sommes partis vers fin-juin début juillet avec des amis, au moment où les restrictions s’assouplissaient. S’en est suivie une période intense de rattrapage d’un semestre entier en visionnant des vidéos accélérées à la chaîne tout en profitant du soleil du mois d’août. Pour l’anecdote le compte @epfl_meltdown est apparu à ce moment; révélateur de l’ambiance globale.
  • T: Bien tendu par le stress de la mise à niveau et ayant quitté mes parents peu de temps avant, je suis rentré chez moi avec le sourire. J’ai rapidement adhéré aux cours en ligne, aux séances d’assistanat en zoom. De toute façon on n’avait pas le choix, la peur de l’échec planait toujours. C’est vers la moitié du semestre qu’on a reçu ce mail qui a tout changé : l’EPFL ne compte plus les échecs pour ce semestre… loin de nous la màn éliminatoire.

    Plus de màn à échec, je me rappelle encore de l’immense bonheur que j’ai ressenti en lisant la nouvelle.

    La motivation pour tenir un rythme soutenu jusqu’au bout du semestre a par la suite été… un peu compromis évidement.

franceinfo

Modulo

La réouverture du campus en septembre 2020 s’est faite partiellement, seule certains numéro SCIPER selon leur modulo pouvait se rendre en présentiel. Avez-vous adhéré à ce système ?

  • P: Curieusement je suis beaucoup venu sur le campus durant le semestre d’automne 2020, dès que c’était mon jour de modulo je bougeais de chez moi. Evidement je n’allais pas en cours, je préférais de loin les cours en vidéo, beaucoup plus agréables à regarder et adaptés au rythme de chacun.
  • N: Au début, tout le monde était super content de retrouver le campus, les amphis, les amis. Les petites habitudes reprenaient à leur échelle.
    Puis une semaine passe, une autre et soudain la flemme du présentiel (même à petite dose) s’installe. jongler entre l’amphi et la maison devenait épuisant. J’ai finalement suivi les cours en visio chez moi et depuis cette année j’ai presque déserté les cours.

    Je me suis habitué aux vidéos en accéléré, et ça a duré jusqu’à la fin de mes études.

  • T: Comme je refaisais mon BA1 je ne suis pas du tout allé en cours durant ce semestre préférant de loin me concentrer sur mes difficultés et adapter ma semaine selon mes préférences. Mes journées commençaient à 11h, je venais au Rolex (on y trouvait toujours de la place à cette époque, le bâtiment était fermé aux étudiantes et étudiants hors EPFL –ndlr) puis je travaillais jusqu’à la fermeture, à minuit je partais et ça tournait comme ça en boucle pendant tout le semestre. On était un petit groupe à tenir ce rythme, même si ça parait austère on se marrait bien à l’époque. Il y avait ce petit côté « le Rolex c’est chez nous ».

    Aussi inimaginable que cela puisse paraître aujourd’hui, la plupart des bâtiments étaient inaccessibles sans vaccination, nous devions montrer nos QR code à l’entrée du Rolex comme à Sat.

    Pendant les périodes d’examens une vaccination suffisante nous donnait droit à un superbe bracelet bleu, obligatoire évidemment.

Débuter avec le covid

Dans le cas des étudiantes et étudiants débutant leurs études en septembre 2020, l’approche de l’autonomie que procure habituellement l’arrivée en études supérieures devait être bien différente ?

  • Johanne* : Effectivement, je suis arrivée à l’EPFL en septembre 2020 en plein covid. C’était à la fois curieux et très stressant parce qu’on était une génération d’étudiantes et d’étudiants qui n’avaient pas passé le Bac. Notre année de terminale s’était quasiment arrêtée en mars. On a toutes et tous un peu ressenti un syndrome de l’imposteur en arrivant à l’EPFL. Nos premiers semestres privés de divertissements se sont donc avérés très studieux.
    Il fallait rattraper tout notre retard, (re)apprendre à travailler, gérer son stress pour la première fois lors des examens de janvier 2021 et se retrouver dans des salles avec 500 autres étudiantes et étudiants que nous n’avions (pour la plupart) jamais croisé avant.

    Lors de ces examens en présentiel, certains découvraient le campus pour la première fois !

Comment se déroulait l’intégration des premières années ?

  • J : C’est vraiment le coaching qui m’a permis de rencontrer des gens, imaginez seulement arriver sur un si grand campus sans pouvoir voir les 3000 autres étudiantes et étudiants qui débutent avec vous ! J’ai eu de la chance d’avoir réussi à louer une chambre au Vortex (qui venait d’ouvrir à l’époque – ndlr) et de partager un petit appart avec trois autres étudiantes et étudiants. Ça a vraiment facilité cette période. On s’est approprié l’endroit et on passait beaucoup de temps ensemble. De fil en aiguille j’ai réussi à me faire pas mal de potes et j’ai conscience que ce n’était vraiment pas le cas de la majorité des gens qui commençaient.

Travailler sans pouvoir venir sur le campus se ressentait comment ? Et l’absence total d’évènements ?

  •  J : Le groupe de potes que j’avais à l’époque m’a vraiment poussé à bien bosser, on se retrouvait tout le temps dans les colocs des uns et des autres pour se motiver, se poser des questions sur telles ou telles séries.
    L’absence d’évènements sur le campus et à Lausanne en général (pas de bars ouverts, rien) était un peu pesante. La journée on n’avait rien de mieux à faire que de travailler, on s’est rendu compte de l’aberration pendant notre deuxième année, avec le retour des events. Avec du recul je trouve que je travaillais beaucoup trop. C’était un stress constant, des journées sans pause. Ça m’a pas du tout donné le rythme sain de travail avec un équilibre classique divertissement/ études que j’ai trouvé plus tard.

Retour sur expérience

Est-ce que vous vous souvenez d’un moment particulier de cette période, une anecdote ?

  • P: Anecdote pas très marrante mais très importantes pour donner du contexte à mes propos : j’étais déjà dans une période difficile avant toute cette période. J’avais commencé à  voir un psy en janvier ayant été diagnostiqué dépressif.

    Le lockdown m’a encouragé, comme beaucoup d’autres, à m’isoler.

    Avant le confinement ma psy me répétait sans cesse de sortir, de voir des gens… Avec les annonces du gouvernement nous obligeant à rester chez nous j’ai été bien content ! J’avais enfin une bonne raison de rester dans ma chambre [rires].
    J’ai par la suite changé de psy, c’était un peu particulier mais les consultations zoom marchaient bien ! Je ne peux que recommander aux gens hésitant à consulter des psy français à distance de passer par zoom (pour des raisons d’assurance maladie -ndlr).

  • N: Qui dit covid dit beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, c’était l’âge d’or du meme sur les différent comptes insta epfl. Il y a aussi eu des groupes FB de chaque modulo se partageant des memes dans un esprit de compétition « quel modulo est le mieux ? ».
    On avait aussi pris l’habitude de se faire des faux certificats covid, les labos de tests étant complètement saturés…
    Concernant la vie associative, tout le monde travaillait aveuglément, pensant que l’évènement allait se dérouler envers et contre tout. Puis tout était annulé et tout le monde pleurait. Triste époque.

    Nous nous efforcions de maintenir comme on le pouvait la vie associative.

    Certains faisaient des jeux sur les réseaux sociaux, Artepoly avait carrément modélisé un musée virtuel !

  • T: J’ai des potes qui sont partis en vacances quasiment tout le semestre d’automne 2021 en allant dans les maisons de vacances des uns et des autres. Avec mes amis on projetait de faire la même chose mais n’étant pas tous français c’était impossible. Finalement on a pas bougé du Rolex…

Et après, quand les choses sont à peu près redevenues normales, qu’est ce qui est resté ?

  • P: Pour moi la plus grosse différence c’est ma façon d’organiser le travail en groupe. C’est beaucoup plus simple de bosser en groupe sans se voir désormais ! J’ai ressenti autour de moi un énorme changement là-dessus. J’ai l’impression qu’aujourd’hui encore, ne pas être dispo en présentiel n’est plus un facteur limitant.
  • N: Comme dit précédemment, le principal changement réside dans l’abandon total des cours en présentiel.

    Avec le covid nous avons appris à travailler avec des vidéos, absorbant des quantités d’informations en accéléré.

    Le retour en présentiel a été très difficile au niveau de la concentration en amphi. Regarder un professeur parler à deux à l’heure était évidemment moins attirant qu’un cours plié en 1h défilant à toute allure !

  • T: J’ai vraiment appris à travailler pendant le covid : vidéo x2 – bosser en bibli – organiser son planning soit même –en fait ce qui m’est resté c’est la liberté de gestion du temps.

    Encore aujourd’hui je travaille principalement de mon côté avec le matériel disponible en ligne.

    J’ai vraiment eu du mal avec le retour en amphi, c’était pour moi inenvisageable de revenir en arrière après avoir bénéficié d’autant de flexibilité dans mes semestres. Mon entourage pourrait dire la même chose, sur une dizaine de cours on n’en suit qu’un ou deux en présentiel.

*Par souci d’anonymat les prénoms ont été modifiés.