Présentation
Tout droit venu de Lyon, Victor Michaud est arrivé à l’EPFL après deux années de classe préparatoire en mathématiques. Le campus et son large panel d’activités ainsi que la liberté d’organisation de son temps que permet la vie étudiante auront été une porte ouverte au mélange étude-passion. « Mon envie de faire de la photo s’est vraiment développée à l’EPFL, tant grâce aux outils de l’école qu’au temps libre dont je bénéficiais. Concernant mon parcours, si j’ai décidé de me diriger vers la section microtechnique, c’est par pure envie de créer. Aujourd’hui je suis ingénieur produit et j’ai mélangé ça avec de l’optique, une discipline dans laquelle je me suis spécialisé durant mon master », relève-t-il. Interview.
Cette passion pour la photo remonte à quelle période de ta vie ?
Depuis mon enfance ! C’est une histoire de famille, mon grand-père était opticien et photographe. Je garde de bons souvenirs, on s’amusait avec des chambres noires pour faire des photos et des développements et j’ai pu commencer à prendre des photos grâce à ses appareils qu’il me prêtait. La première chose que j’ai documentée ce sont mes activités sportives. Je faisais beaucoup de parkour et je filmais et capturais tout. Je dirais que c’est le point de départ de ma passion pour la photographie. Le premier appareil que je me suis acheté était un petit Nikon d’entrée de gamme. Je pouvais aussi bien filmer que photographier avec.
Plus tard, j’ai voulu m’y mettre plus sérieusement, je pensais que l’idéal était de se perfectionner dans la photo portrait mais avec du recul j’étais très mauvais, ça n’a pas duré longtemps. Je suis arrivé à l’EPFL peu après avec mon appareil, je faisais de la photo très « organisée », peut-être un peu trop réfléchie, puis j’ai dérivé sur quelque chose de plus expérimental : de la photo de rue.
La photo de rue, c’est une sorte de documentaire animalier humain, tu documentes ce qui t’entoure sans t’immiscer dans le décor.
Cohabitation entre études et passion
Cette passion tu l’as faite vivre pendant ton parcours à l’EPFL, comment cela s’est déroulé ?
J’ai été photographe pour des festivals mais je ne m’y suis pas particulièrement plu. Autrement durant mes études j’ai testé plein de variations d’utilisation de la photographie. Par exemple pour transposer certains de mes cours en vidéo, notamment ceux d’optique. J’ai réalisé une petite série sur le fonctionnement de l’appareil photo, des pellicules argentiques. Je me suis amusé à coder sur After Effects des systèmes optiques. Tout cela me permettait d’apprendre mes cours de façon très ludique. Je me suis d’ailleurs pris de passion pour la recherche sur les pellicules argentiques. Après avoir lu quelques papiers de recherche sur le sujet je me suis aperçu que bien que la technologie remonte à 200 ans, on ne sait pas, aujourd’hui encore, parfaitement comment le processus chimique fonctionne !
Lier photographie et ingénierie en trouvant un travail mêlant les deux professions a été un objectif en fin d’étude ?
Vers la fin de mes études j’ai eu la chance d’avoir assez de temps et de ressources financières pour me plonger plus assidûment dans le côté artistique. Je faisais des mandats, des photos pour des clients, pour gagner un peu de sous au début mais je dois dire que ce n’était vraiment pas le plus épanouissant.
Je suis très content de pouvoir être ingénieur à côté, ce qui me permet d’éviter de vivre de ces mandats qui ne sont souvent pas très gratifiants.
Aujourd’hui, mon travail me laisse le temps libre qu’il faut pour pouvoir m’amuser avec la photographie et si à un moment donné je dois mettre en pause ma carrière pour me mettre à temps plein sur un documentaire ou un autre gros projet je n’hésiterai pas une seconde. Je vois un peu les choses en « on et off » mais je préfère avoir une base solide en arrière-plan avant de me perdre dans quelque chose d’instable.
La balance entre art et science était bien plus évidente à l’EPFL, l’esprit était sans cesse stimulé ce qui donnait un terrain pour développer des idées. Sortir la tête du travail quand on fait un 40h par semaine est un peu plus périlleux. Pour faire de la photo il faut s’ennuyer, laisser filer sa créativité. J’ai changé ma méthode, du coup je fais des voyages, je varie mes projets. Ce qui me permet de trouver d’autres façons de laisser libre cours à mon imagination.
Parcours de photographe
Dans ton travail, on retrouve beaucoup de structure, de géométrie dans l’architecture qui nous entoure. C’est un sujet particulier que tu travailles ?
Oui, exactement !
Ce qui m’interpelle, c’est de trouver de la simplicité dans les choses complexes.
L’espace urbain est très lourd, chargé en éléments. Quand j’ai mon appareil en main, je me concentre seulement sur certains détails qui attirent mon attention. …
Quels sont tes projets en ce moment ?
J’ai eu une proposition avec « The Lausanner », c’était un travail pour un client mais avec une grande liberté artistique, ce qui m’a beaucoup plu. Sinon je travaille actuellement sur un documentaire sur l’Île de Skye et l’Ecosse que je compte présenter bientôt. Un an et demi de boulot, un peu ralenti par le travail. Plus généralement je publie mon travail sur Instagram. Je vois ce réseau social comme une galerie, où mon travail est figé, exposé à l’extérieur.
Comment tu combats la timidité pour photographier ?
Je me suis lancé dans la photographie de rue, initialement pour réaliser un documentaire sur cette pratique. J’ai eu des débuts hésitants mais j’avais l’inspiration qu’il fallait. Concernant ma timidité initiale, je dirais qu’elle s’est progressivement estompée au fil de ma pratique. En fait c’est mon expérience à New York qui a été un facteur déterminant dans ce processus de libération. Les regards indifférents des passants m’ont permis de surmonter mes appréhensions. En Suisse, où l’atmosphère est plus réservée, je privilégie des prises de vue à distance, en intégrant des éléments urbains dans mes compositions.
Je recommanderais à tous ceux qui sont attirés par la photographie de rue de se renseigner sur les différentes approches possibles et de se lancer progressivement, en expérimentant différentes techniques. Pour ma part, j’ai toujours mon appareil photo à portée de main, ce qui me permet d’exercer mon regard et de capturer des instants spontanés, y compris avec mon téléphone portable.
Quand on photographie son environnement, le regard que l’on porte sur les choses change, chaque élément peut devenir une partie d’une composition. Qu’est ce qui t’interpelle le plus et comment ton regard s’est-il affuté ?
Tout me parle quand je photographie, mon environnement aussi bien que l’ambiance sonore. J’enregistre avec mon micro ce qui m’entoure. Autrement en photo, il faut considérer ce qui sort derrière.
On dit que l’œuvre artistique se termine au moment où tu déclenches ton appareil.
À la fin, je considère toutes mes photos, les bonnes comme les mauvaises, c’est ça qui me permet de progresser. Chez moi je scanne mon travail et je le regarde sur un grand écran, ça me permet de découvrir des éléments cachés. Je me dis que ce sont ces petits détails qu’il faut que je capte et c’est comme ça que je progresse.
Photographie argentique
Tu as mentionné que tu travaillais à l’argentique, raconte nous un peu cette pratique.
Je développais au labo photo de l’EPFL, de temps en temps. Par contre pour développer en couleur c’est bien plus complexe au niveau produits chimiques, donc je confie mes pellicules à un labo et je les scanne moi-même avec un appareil numérique et je les traite sur un logiciel, j’ajuste les contrastes et d’autres paramètres. Le traitement photo est super important !
Mes deux grands-pères m’ont donné leurs appareils photo, notamment un Canon AE1, un superbe appareil en métal entièrement mécanique. Je l’ai testé à New York et c’était un gros raté : l’optique avait un problème… Toute une pellicule gâchée ! Après, j’ai continué, et au bout d’un moment j’ai constaté que mes photos numériques restaient sur un disque dur, parfois je ne les regardais jamais !
Une photo argentique, je la vois, je la traite, je lui porte beaucoup plus d’importance.
Je me suis mis, de fil en aiguille, à faire du moyen format avec des énormes appareils photo argentiques, et le résultat est incroyable.
Le phénomène argentique est intéressant du point de vue générationnel, à contre-courant de la boulimie de photo associée aux réseaux sociaux depuis plus d’une dizaine d’années.
Je ne dirais pas à contre-courant, moi j’utilise aussi très bien mon téléphone pour prendre des photos mais ce n’est pas du tout dans le même but. Les photos prises sur mon téléphone servent à documenter ma vie, à informer mes proches, et plus largement à me souvenir. Faire de la photo demande différents efforts, on pourrait très bien utiliser les mêmes outils sauf qu’utiliser un outil fait pour produire facilement des photos ne te donnera jamais un bon résultat et ce par défaut, par principe. À un moment il est nécessaire de se mettre une contrainte pour pousser le processus créatif. Mes premiers vrais travaux à l’argentique remontent à la fin de mon EPFL, vers 2021.
Aujourd’hui dans un monde où tout est numérisé, tout peut disparaître ! Un peu comme quand un disque dur bug. Moi je n’ai pas peur parce que je sais que mes pellicules sont là. Quelquefois il m’arrive d’imprimer certaines photos, pour des expos, en grand format. C’est très satisfaisant.