Simon fait partie de ces personnes créatives et talentueuses du campus. Celles qui ne se laissent pas abattre par la charge de travail des études mais qui au contraire en profitent pour faire preuve de zèle envers les préceptes de l’académie tout en développant des talents immenses. Celles qui remettent en question l’organisation de ton temps personnel tout en te donnant l’envie de te lancer dans des projets fous.
Présentations
Je te laisse te présenter.
Je m’appelle Simon Prêcheur Llarena, je suis de nationalité française et espagnole, j’ai terminé l’EPFL cet été avec un diplôme en robotique et un mineur en technologie spatiale. Je travaille désormais comme ingénieur et musicien à temps partiel.
Est-ce que tu peux nous expliquer brièvement ton parcours à l’EPFL ?
J’ai commencé l’EPFL en microtechnique puis j’ai enchaîné avec un master en robotique. En fait je vivais à Annecy avant, le sport et la montagne faisaient partie intégrante de ma vie dans les Alpes et Lausanne s’est avérée être la ville parfaite pour reproduire ce cadre ! Comme beaucoup je voulais éviter la prépa et en plus de la famille vivait en suisse…
Bref tous les éléments étaient réunis pour que je vienne dans ce campus.
Côté musique, tu as cet intérêt depuis quand ?
Très longtemps, aussi longtemps que l’ingénierie ! En fait l’histoire est assez marrante. Pour la faire courte j’étais avec ma famille en Chine et mes parents m’avaient acheté un pack de Lego. En m’amusant avec, j’ai coincé un élastique entre deux briques et ça faisait un son de corde pincé, presque mélodieux. J’ai par la suite demandé à mon père de m’inscrire à des cours de musique et c’est comme ça qu’à huit ans j’ai commencé la guitare. C’est là que tu comprends que la musique et l’ingénierie ont pour moi toujours été liés ! J’ai continué le conservatoire pendant tout mon parcours scolaire à Annecy, et ce jusqu’à mes 17 ans. J’ai fait une formation de guitare classique en trois cycles et en fin de cursus des cours assez poussés d’écriture musicale. En fait ce type de parcours est assez classique, ce n’est qu’à l’EPFL que j’ai commencé de prendre la musique au sérieux
Trouver sa voie
Au final tes études n’ont pas été un frein à ta créativité.
En première année c’était difficile, avec les rumeurs qui circulaient sur la sélectivité, le travail intense… j’ai été obligé de délaisser un peu la musique pour me concentrer à 100% sur le travail. Une fois la première année passée on ressent un sentiment de vide étrange, un peu comme une impression d’avoir fourni un maximum d’effort pour… rien ! Autant de travail pour des notes plutôt moyennes, c’était un peu hors de la logique des choses. Il me fallait quelque chose pour compenser.
Quand tu es étudiant tu n’as pas vraiment de but, ton seul objectif : résoudre correctement des équations !
J’avais tout de même adoré les projets de méca mais ça reste quelques expériences noyées dans un flot de physique et d’analyse à répétition. J’ai eu envie de me lancer dans quelque chose de concret, c’est là que j’ai découvert la commission Musical à l’EPFL qui a joué un rôle non négligeable dans mon développement en tant qu’artiste.
Là on peut se dire que l’EPFL c’est une école d’ingénieur, donc … pas vraiment l’endroit adéquat pour se lancer dans la musique ! Alors qu’en réalité, c’est une école tellement attrayante que dans l’immensité des étudiantes et étudiants qui s’y inscrivent, il y a forcément des talents divers et variés ! Beaucoup de jeunes choisissent l’EPFL pour sa réputation sans réellement savoir ce qu’ils comptent faire de leur vie. Moi-même j’ai intégré cette école à 17 ans, c’est tôt pour être sur de ses choix.
Il y a plein d’artistes cachés à l’EPFL qui finiront par faire autre chose que de l’ingénierie pure. J’ai rencontré énormément de personnes durant mes études qui aujourd’hui sont alumni et ne sont qu’ingénieur·es à temps partiel pour continuer de nourrir leurs passions. Ce qu’il faut retenir c’est que l’EPFL n’est en aucun cas un frein à la créativité, la seule chose qui diffère c’est le fait de ne pas recevoir un diplôme pour ses compétences créatives mais rien n’empêche de les développer à leur maximum !
C’est vrai qu’à 17 ans c’est difficile de se rendre compte de ce qui nous anime réellement.
Ce qui est difficile c’est cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes lorsque l’on doit choisir son orientation, et par-dessus tout cette impression que ce choix t’enfermera à jamais dans un domaine précis sans aucun retour en arrière. En réalité on a le temps de découvrir ce qui nous passionne, c’est aberrant de dire qu’on doit décider tout de sa vie alors que l’on est à peine adulte.
Tout à l’heure je parlais beaucoup de musique mais ça concerne également le monde du sport. Il y a pleins de grands sportifs et sportives à l’EPFL, à la Magistrale des prix sont décernés à ces gens (Il manque un prix pour les artistes NDLR).
Parcours musical
Niveau musique tu fais quoi toi du coup ?
Moi j’ai un style de vie un peu particulier, je travaille en tant qu’ingénieur EPFL à 70% ce qui me permet de vivre avec un salaire assez confortable, je passe le reste de mon temps à faire de la musique en me ciblant sur des projets très concrets. L’un d’entre eux est le carnaval des planètes et l’autre est Los Azulejos où l’on reprend des musique espagnoles en les rendant un peu latino et flamenco. Ces deux projets je les mène en statut d’association, on gagne de l’argent qu’on réinvestit en essayant de faire en sorte que les choses se développent mais ça reste un revenu complémentaire.
Le fait d’être ingénieur me permet d’être libre.
Vivre uniquement de la musique c’est possible mais c’est souvent une vie d’enseignement (prof de musique) avec beaucoup de concerts mal rémunérés, des petits cachetons par-ci par-là, rien de fixe. C’est faisable mais extrêmement usant.
C’est pour ça que j’ai beaucoup de chance de faire les deux et d’aimer autant l’ingénierie que la musique. Je ne me sens pas particulièrement carriériste dans le domaine scientifique mais ça me convient bien aussi.
Est-ce que tu ressens une sorte de dissonance entre ton travail et ta vie de compositeur ?
Comment trouve tu l’équilibre entre ces deux disciplines ?
Il y a une dissonance ! Beau jeu de mot et grand tracas de ma vie.
C’est une chose dont j’ai beaucoup discuté avec mes parents. Ce qui est marrant c’est que mon père est ingénieur de formation et ma mère est artiste peintre. J’ai directement hérité de cette dualité. Ce qui est bien c’est que leurs discours n’était pas nécessairement « tu dois être ingénieur, la musique on ne peut pas en vivre » ni « Poursuis ta passion », c’était au contraire plutôt équilibré et c’est grâce à leur soutien que j’ai pu faire ce choix de vie. En fait la dissonance a surtout eu lieu… durant les périodes d’examens à l’EPFL [rires]. Plus sérieusement, tout cela fonctionne de façon périodique.
Les deux voies que j’ai choisies coexistent et se contredisent parfois, l’une peut prendre plus de place ou être plus attirante que l’autre mais rien n’est figé, tout évolue au grès des projets.
Lorsque les travaux que je mène en ingénierie sont concluants, que les choses aboutissent, je me sens accomplis. C’est dans ces moments que je me dis ‘j’ai bien fait de faire l’EPFL, si je ne l’avais pas fait je l’aurais regretté » et vice versa. Il y a des temps forts et des temps faibles. Parfois rien ne marche, les projets rament… dans ces cas-là je me dis « c’est tellement attractif de faire de la musique en fait ! »
Il faut toujours garder la tête froide et ne pas tout foutre en l’air. Je me souviens qu’en fin de Bachelor j’étais à deux doigts de partir faire le conservatoire CNSM à Lyon, j’ai décidé de rester, c’est un choix que je ne regrette pas aujourd’hui. Pour revenir sur la dissonance, il n’est pas toujours évident de passer d’une discipline à l’autre, surtout quand on cherche l’excellence, qu’on se déploie entièrement dans un projet. La clé est dans la maîtrise du jonglage de l’une à l’autre. Meeting d’ingénierie d’un côté, concert de l’autre…
l’équilibre se perfectionne, se perd et se retrouve mais chaque année je suis meilleur dans l’exercice de cette dualité.
Trouver son équilibre à l'EPFL
À un moment il n’y a pas eu l’envie de mixer directement ingénierie et musique ? Ingénieur du son par exemple ?
Oui, totalement ! J’ai fait des projets de semestre à l’EPFL en lien avec la musique. Notamment au DCML (Digital and Cognitive Musicology Lab) , laboratoire de musicologie, plutôt méconnu du public. Et là vous vous demandez ce qui s’y passe dans ce DCML ? Et bien on cherche à trouver des structures sémantiques dans la musique afin de modéliser la façon dont fonctionne le langage musical, et ce d’une façon extrêmement conceptuelle et mathématique. Il y a par exemple des modèles pour décrire des accords, décrire les harmonies… C’est une vision purement technique de la musique. Je me suis retrouvé un peu dans la désillusion, ce qui m’anime en ingénierie comme en musique c’est de créer des choses.
Je ne suis ni un théoricien ni un réel matheux, ce qui me fait vibrer c’est la création, l’imagination, la fabrication ! C’est pour ça que j’ai fait microtechnique, pour la robotique et tout l’imaginaire que ça enclenche.
Pour revenir à mon stage au DCML, ça m’a appris à décrire la musique avec des outils mathématiques et informatiques comme le machine learning. Dans mon projet de master j’ai fait des recherches se basant sur le chant des criquets, quelque chose d’assez unique. C’est un projet que je poursuis aujourd’hui, à temps partiel dans mon labo. Il me reste une infinité de pistes à explorer pour essayer de mêler au mieux mes deux passions. Etonnamment je fais beaucoup plus de purement musical, où la logique d’ingénieur intervient d’ailleurs. Je n’ai pas du tout ce côté nerd de l’inventeur fou qui laisse les musiciens tester ses créations. Je me concentre vraiment plus sur l’écriture pure de musique, je suis l’acteur plus que le technicien derrière la musique.
As-tu ressenti l’apprentissage de ces « codes du language musical » comme une aide à ton apprentissage scientifique ? La musique et les mathématiques sont des domaines codés par des lois très précises associés à des schémas logiques.
Les deux disciplines sont effectivement plus proches que ce que l’on pourrait penser. Tu as parlé des maths dans la musique,
ironiquement les maths ressemblent à la musique dans le fait que c’est un domaine qui fonctionne énormément sur l’intuition,
un peu à tâtons si on veut. Dans les mathématiques exploratoires c’est l’instinct qui rentre beaucoup en jeu, les mathématiciens jouent avec des concepts et s’en amusent comme le font les musiciens et les compositeurs. On sait pertinemment qu’il y a des grandes règles qui régissent les choses, en harmonie, les séries harmoniques, les lois des tonalités, ce sont pleins de choses remplies de sens et de logique dont on pourrait tirer un algorithme composant la musique pour qu’il respecte des lois de cadences etc. Mais il y a toujours un aspect inconnu qui entre en jeu, on ne peut pas coder une bonne mélodie, c’est de l’ordre du ressenti.
Il y a un côté très exploratoire, instinctif et technique partagé par les deux matières. Quand on réfléchit à la musique et à ce qui crée le son purement parlant, c’est via l’ingénierie que ça se passe. Quand on pense basson, cor… ces instruments à vent ont des valves extrêmement sophistiquées ont subi des années d’évolution !
La musique n’est rien sans ce que l’ingénierie peut apporter.
Aparté technologie-musique
Est-ce qu’aujourd’hui il y a des innovations adoptées par les musiciens ?
Oui ! On peut facilement argumenter qu’on est dans la période la période la plus florissante en terme d’innovation musicale.
Durant le siècle dernier si on a explosé le nombre de styles musicaux jamais vus auparavant, c’est grâce à l’ingénierie.
Le développement de l’électricité a permis l’invention des guitares électriques, le développement de l’enregistrement (micro tout ça). C’est à ce moment que la musique change complètement de sens, ce n’est plus quelque chose qu’on écoute uniquement en live mais quelque chose qu’on peut enregistrer et réécouter, sampler, traiter, améliorer ! C’est à partir de là qu’apparaît la musique électronique qui, de nos jours peut reproduire à partir de synthétiseurs, samplers ou logiciels n’importe quelles sonorités.
Comment vois-tu l’arrivée de nouvelles technologies dans le monde de la musique, comme l’intelligence artificielle ?
C’est hyper intéressant ! Dans le domaine de l’image l’intelligence artificielle a fait un bond énorme, avec Open AI ou Dall-e tu peux avoir des œuvres d’art qui sont extrêmement finies en une itération de programme.
En musique on n’en est pas encore là, on a des intelligences artificielles capables d’exécuter des morceaux mais il faudrait vraiment un équivalent de Dall-e, quelque chose qui utilise une data base d’enregistrements finis et masterisés, et utiliser ça pour transformer des notes MIDI en enregistrement final. C’est pas encore fait, ça ne tardera pas, disons que les compositeurs ont encore un peu de marge avant de se sentir en danger. En fait c’est assez étrange parce qu’on peut définir la musique comme étant un médium à deux dimensions, tout comme les images donc je ne vois pas pourquoi ça ne serait pas possible !
Dans une image on définit la taille par des coordonnées x,y avec des pixels pesant quelque méga. Dans un enregistrement sonore c’est aussi le cas, on a le temps et l’intensité.
Dans le fond c’est quelque chose que tu crains ?
Là c’est vraiment mon côté ingénieur qui prends le dessus *rires], je pense que ce n’est pas du tout un problème. Avec Dall-e on crie au suicide artistique, plaidant que les illustrateurs et autres graphistes perdront leurs jobs… Mais c’est comme avec chaque évolution, chaque nouvelle invention, des jobs sont perdus d’autres sont trouvés.
Quelque chose qu’on ne remplacera jamais, dans l’art et la musique, c’est le live.
En un prompt tu pourras peut être pondre la cinquième symphonie de Beethoven mais ce n’est qu’en allant dans une salle de concert que tu pourras écouter ta petite cousine jouer au violoncelle sa partition de musique classique. Vibrer au son d’un orchestre, avec des humains interprétant imparfaitement une œuvre, ça c’est hors d’atteinte de l’IA. Pour revenir sur ta question de la crainte des nouvelles technologies, je dirais que j’ai une vision très moderne du post processing (traitement de son). Dans les enregistrements qu’on réalise avec mon groupe de Los Azulejos, on joue du mieux qu’on peut puis on vient traiter nos sons pour les amener au plus haut standard possible. Chose qu’on n’aurait pas en live, un puriste aurait honte de faire ça. J’embrasse mon côté ingénieur pour atteindre la perfection, et à côté on joue aussi bien en live avec quelques imperfections !
Conseils
Un vaste sujet dans lequel on s’engouffre, pour revenir sur la vie étudiante, aurais-tu des conseils à donner ?
Il y a effectivement énormément d’étudiants qui ont une relation très saine avec la musique, qui en font leur hobby en progressant de manière continuelle, ceux-là finissent avec de magnifiques carrières en ingénierie. Ce que je peux dire c’est que ce n’est pas du tout grave de délaisser un peu l’EPFL pour la musique ou une autre passion. À vouloir trop travailler, être le meilleur… on voit d’autres élèves de la section avoir des notes incroyables et des opportunités folles partout dans le monde, la comparaison est inévitable et vite décourageante.
Le travail acharné est un mode de vie pouvant convenir mais si vous avez besoin de la musique, alors foncez !
L’excellence absolue n’est pas une fin en soi et il ne faut pas avoir peur de la laisser de côté.
C’est un peu ce qui est arrivé à Brian May, guitariste du groupe Queen. Il faisait une thèse d’astrophysique et il l’a quittée à moitié chemin pour se lancer dans la musique. 20 ans plus tard il est revenu sur ses pas pour la finir après la mort de Freddie Mercury.
Tout dépend des profils en réalité !
Pour ma part, ce sont les opportunités et les rencontres qui ont façonné mon parcours.
L’EPFL et les associations qui la composent ont beaucoup apporté en termes de soutien financier, de ressources et de matériel. C’est à partir de là que j’ai pu monter le groupe Los Azulejos avec Eric, ancien vice-président de Musical.
Avec ce groupe on a eu un projet fou de faire la sonate au clair de lune en flamenco, on a passé des mois pendant le confinement à faire la vidéo. On en était tellement fiers qu’on a partagé le morceau à Classic FM une chaîne de radio anglaise qui a repartagé notre morceau. On a fait 1million de vues ! Ça a été notre envol. En ce moment on enregistre un album qu’on sortira en fin d’année 2023 en espérant que soit le plus qualitatif possible. Los Azulejos est un groupe à 90% EPFL ! Albane a fait le master en humanités digitales, Eric a fait microtechnique comme moi et lors de son projet de master, il a fabriqué son propre amplificateur de guitare électrique.
C’est lui ! Une légende ce type en fait.
[rires] Ouais on peut faire un amplificateur son projet de Master! Le type faisait des méga solo de guitare électrique en classe, les profs étaient fasciné.es. La star du campus un peu. Il fait partie aujourd’hui de pleins de projet musicaux différents.
Tu veux parler un peu de tes dates de concerts à venir ?
Je vais jouer le carnaval des planètes au Swiss Tech Learning Center dans le cadre des portes ouvertes organisée par l’EPFL, le week-end du 29/30 avril prochain.