Rencontre d’alumni allumé·es: Adrien Miqueu

Qu’est-ce qu’on fait après ? Pour répondre à cette question nous vous proposons des rencontres inédites avec les folles et fous de l’EPFL, ceux pour qui rien ne suffit, pour qui la soif de créer est plus forte que l’appel de l’excellence académique. Adrien Miqueu, figure de l’étudiant ingénieur-dessinateur au trait subversif nous raconte son parcours. Celui d'un accroc de l’apprentissage, aussi bien journaliste que chercheur, dessinateur, vulgarisateur et récemment doctorant unilien.

Parcours sur campus

Jeanne : Je te laisse te présenter.

Adrien : Je m’appelle Adrien, J’ai fait l’EPFL en physique il y a six ans maintenant. Suite à ça j’ai fait une formation de journaliste scientifique et maintenant je suis doctorant en histoire des sciences à l’UNIL et assistant en SHS à l’EPFL. À côté je suis également dessinateur plus ou moins professionnel. J’avais fait à l’époque un journal satirique à l’EPFL… dans mes tendres années.

J : Parles nous un peu de ton parcours EPFL.

A : J’ai fait un master de physique… pourquoi ? J’aurais du mal à le dire.
Après le bac je n’avais absolument aucune idée précise de ce que je voulais faire. J’ai choisi le truc le plus général : EPFL parce que j’aimais les sciences, physique parce que plus général que cette section tu meurs [rires]. En vrai je gardais surtout un bon souvenir de la journée de présentation où ils avaient fait péter pleins de trucs dans l’amphi, je trouvais ça cool un peu nerd je me suis dit go.

J : Qu’est ce qui a été le plus marquant pendant tes études, de là à ce que tu te tournes vers ce parcours post EPFL hors du commun?

A : Comme ça je dirais le Couac, journal satirique conçu lors de ma troisième année. J’avais envie de créer un truc pour laisser libre cours au dessin et à la fibre contestataire et ironique que je pouvais avoir sur les études à ce moment-là. Ça m’a permis de faire des superbes rencontres… En fait lors de ma troisième année j’ai failli partir en Erasmus, finalement je suis resté, c’était le moment parfait pour lancer ce projet. https://couac.laurent.sexy/

Illustration et Couac

À l’époque, révolue maintenant, les gens étaient sur facebook [rires].
Il y avait un groupe qui s’appelait EPFL meme (le nom parle de lui-même NDLR)  et un mec en particulier : Jamani Caillet, pro de photoshop.
Le type savait tout faire : des montages hilarants, un monopoly de l’EPFL, des memes toujours d’une justesse folle et des parodies de figures importantes de l’EPFL.
La meilleure était sûrement celle de Tintin avec Patrick Aebischer « Patrick au Congo », le directeur d’alors qui était allé faire une sorte de mission d’évangélisation sur les moocs à destination de plusieurs pays africains! Il y a eu énormément de parodies autour du sujet, très bien perçues par la direction, globalement ils laissaient faire.

J’avais donc commencé à poster des dessins là-dessus, des bandes dessinées avec mes personnages qui sont des canards anthropomorphes. Comme le style plaisait je me suis rapidement dit que j’allais sortir une version papier. J’avais en tête des journaux comme le canard enchaîné quelque chose du style, je me suis tourné vers l’AGEPoly et à l’époque il n’existait aucun journal étudiant du campus ! Je décide d’envoyer un message à Jamani, que je ne connaissais pas encore en lui disant « Eh si tu veux on fait un projet ensemble » on a fusionné nos passions, monté une équipe et lancé ce magazine dans une ambiance un peu pirate.

La façon dont le projet était produit, distribué, tout était un peu bancal et anar dans l’esprit .

J : Ça vous a jamais causé de tort ?

A : Le couac non, pas de retour particulier de l’EPFL, ils étaient plus au courant de ce qu’il se passait sur la page facebook (epfl meme), plus soft etc.
Je suis pas certain qu’ils en aient eu un en main. Surtout en y repensant dans certains numéros on poussait la vanne un peu loin, dans le N°2 ou 3, juste après les attentats de Charlie Hebdo, on voulait absolument faire de l’humour satirique. Ce qui donne entre autres  Patrick Aebischer qui emboîte un mouton… fin voilà [rires]
Globalement on n’a jamais eu de problème, peu de temps après j’ai été contacté pour faire des dessins dans le FLASH (ndlr: ancien journal de l’EPFL) pour illustrer des thèmes sur la rentrée. J’ai été comme happé par le système, j’ai fait une sacrée quantité d’illustrations pour l’EPFL au final. Les gens aimaient bien le second degré véhiculé par mes dessins.

J : Tu dessines encore actuellement pour l’EPFL ? J’ai vu certains de tes dessins dans une récente brochure pour les alumni…

A : Effectivement, j’ai fait des dessins pour un guide des bonnes pratiques du doctorat y’a un ou deux ans, pour encadrer le doctorat etc. Toujours avec ce personnage de mascotte canard.

J : C’est étonnant que l’EPFL apprécie autant ton style, très en contraste avec leur image un peu minimaliste bercée au Helvetica.

A : Oui, ça m’a toujours étonné qu’ils soient si réceptifs, mon dessin est un peu cartoon, très crado, à l’inverse de leur style épuré. Mais ça marche plutôt bien au final !

J : Est-ce que tu pourrais nous parler de tes inspirations en termes de bande dessinée ?

A : Mes personnages sont des sortes de canards très inspirés des bds Disney évidemment. Précisément d’un auteur qui s’appelle Don rosa qui a fait les bd Picsou, j’ai beaucoup puisé chez lui… Il y a aussi un dessinateur qui s’appelle Boulet qui fait des trucs super que j’adore, je le connaissais via son blog boulet.corp, globalement le style c’est toujours un mix de plein d’inspirations…

Suite de parcours et journalisme

J : Est-ce que c’était clair les études d’ingénieur ou c’est quelque chose sur lequel tu hésitais ?

A : Disons qu’ingénieur purement parlant pas vraiment. J’avais initialement un peu envie de continuer dans la voie artistique, ce sont mes parents qui n’étaient pas trop d’accord avec l’idée. Et je leur en suis redevable parce que le dessin c’est quelque chose que j’ai pu continuer de cultiver en parallèle de mon parcours scientifique. Ce n’est pas un mauvais calcul de vouloir faire une formation précise, maintenant je peux faire de la vulgarisation scientifique si je veux. Mais je me souviens que mon grand rêve à l’époque c’était les Gobelins, une école d’animation réputée en France. L’EPFL s’est finalement avéré être un choix logique… j’étais fort en science donc quoi de mieux ?

J : L’EPFL, surtout en physique, ça a jamais été trop ?
A : c’était ok… ça faisait bizarre de pas être dans les meilleurs mais c’est quelque chose de classique. En physique les gens avaient une intuition mathématique flagrante, je me sentais entouré de personne comprenant tout, tout de suite. C’est là que tu te rends compte du niveau et du décalage. Je dirais que le choc de l’EPFL c’est surtout ça.

J : T’as fait un peu d’assos pendant ton parcours ?

A : Pas du tout, je suis pas quelqu’un de très collectif.

J : Fin des études, comment ça s’est déroulé ?

A : J’ai terminé mon master en faisant un projet formidable mêlant physique statistique et biophysique. Mais je ne me sentais pas assez bon pour continuer dans la recherche… L’idée de la vulgarisation m’intéressait, je trouvais dedans une façon de lier mes deux passions. À l’Ille j’avais repéré une section journalisme scientifique. Ils proposaient à des gens qui avaient un master de scientifique de faire ce cursus en un an de journalisme pour apprendre les codes du journalisme, l’écriture …On était une quinzaine d’étudiantes et étudiants rassemblant biologistes, chimistes, informaticiens. Je pense que ça fait partie de mes meilleures années d’étude. Il y avait une synergie forte de personnes avec des centres d’intérêts très communs, littérature philo comme sciences, ce qui n’est pas forcément le cas à l’EPFL.

Journalisme et thèse sur l'atome

J : Que s’est-il passé à l’issue de cette formation ?

A : J’avais découvert un peu avant qu’on commence en tant que pigiste quand on est journaliste, j’ai bossé pour des journaux et des magazines axés sciences comme Science & Vie Juniore, Ça m’intéresse… Quand on travaille en freelance comme ça on écrit sans savoir si l’article sera accepté à l’avance, c’est assez perturbant. Et comme la presse va mal en ce moment, les rédactions engagent de plus en plus souvent les gens en freelance.
J’ai  fait ça pendant deux ans, ce n’était pas hyper facile, financièrement surtout… C’est  à ce moment-là que je me suis dit mais pourquoi ne pas reprendre les études ?
Pendant la formation à Lille on avait eu un peu d’histoire des sciences, je discutais avec un prof de la possibilité de faire un doctorat. Puis l’idée est revenue et j’ai envoyé un mail à un prof de SHS ou je lui demandais les possibilités de reprendre les études dans son domaine. Là il m’a dit que c’était possible ! Même sans avoir en préalable d’année passerelle de sciences sociales ou d’histoire. Pendant une année j’étais remplaçant de prof de physique en lycée pour compléter les piges.
Puis j’ai été pris pour cette thèse, maintenant ça fait trois ans. Je continue un peu à faire des piges pour un média suisse qui s’appelle Heidi News. Là j’essaye de finir ma thèse surtout, j’en ai pour deux ans encore..

J : Et après ?

A : Soit un post-doc, soit un retour vers le journalisme scientifique… Le monde académique est très compliqué.

J : ça fait quoi de faire autant de temps des études ? Y’a pas un moment où tu satures ?

A : Là je commence à saturer. C’est un peu particulier surtout en sciences sociales où on est pas forcément en équipe. Le sujet sur lequel je travaille je l’ai construit de A à Z avec l’aide de mes directeurs de thèse.

J : Tu nous parles un peu de ton sujet ?

A : Je travaille sur la théorie atomique au 18ème 19ème et ses liens avec la religion chrétienne. C’est une théorie plus favorisée par les protestants que par les catholiques pour des raisons de conception du monde, plus Kelviniste que catholique. Ce sont des théories matérialistes supposant qu’il n’y a rien d’autre que les atomes… La théorie de l’atome est évidemment en conflit avec certains dogmes du christianisme, opposant protestantisme et catholicisme. Moi je porte un regard sur ces théories, entre science et religion, je travaille sur des écrits de savants grâce aux archives de la bibliothèque de l’uni de Genève. Les manuscrits sur lesquels j’appuie ma thèse datent du 17ème au 19ème siècle. J’ai même trouvé une lettre de Leibniz, une vraie d’époque !

J : Qu’est ce qui a inspiré ton sujet de thèse ?

A : La SHS que j’ai faite c’était science et religion, les conflits etc. Au départ je m’étais plus intéressé au nucléaire, aux recherches sur l’atome début 1945 et aux découvertes autour de la bombe atomique, ses significations religieuses (fruit défendu, Prométhée, apocalypse etc), je me suis dit qu’il y avait peut-être un truc à faire ! Après j’ai « glissé dans le temps » je suis remonté un peu avant sur les premières théories atomiques, sur l’idée de concevoir le monde comme composé d’atomes. C’est un présupposé théorique sur notre monde. C’est-à-dire qu’on adopte une démarche qui est matérialiste, réductionniste, on ne parle pas des sens ou d’un principe, on réduit tout à l’action mécanique de petit corpuscule qui s’enchevêtre les uns par-dessus les autres. C’est une théorie déterministe et réductionniste finalement, c’est la vision scientifique actuelle. En fait ce que je trouve fascinant c’est que ce sujet est un peu à la base de la manière de penser scientifique.

J : Est-ce que tu peux nous parler un peu de la journée type d’un doctorant en Sciences Humaines?

A : C’est un peu compliqué à décrire mais je dirais que c’est beaucoup de lecture et d’écriture. On doit lire des sources primaires, ceux des savants et tout ce qui existe sur le sujet… Là forcément on tombe sur la thèse d’un allemand, écrite dans les années 80. Sur des sujets comme l’atome on peut se dire « oh j’ai découvert un truc c’est marrant », puis en fait quelqu’un a déjà écrit une thèse dessus. C’est assez déstabilisant. On peut parfois être démoralisé face à la masse d’informations à laquelle on doit faire face. Il faut savoir situer son travail par rapport au reste. Venant d’un milieu scientifique j’ai dû découvrir ce que c’était réellement l’histoire des sciences, la démarche des recherches n’est pas du tout la même en sciences humaines qu’en science pure ! Mon rapport à la façon dont les choses sont enseignées a bien été changé…
Il ne faut pas que je le dise trop fort mais le solutionnisme technologique vanté dans les écoles d’ingénieur ce n’est pas trop ça, c’est important de sortir du format scientiste en lisant, à travers les sciences humaines et sociales.

J : Pour conclure, est ce que tu aurais une anecdote sur ton parcours epflien ou un conseil à transmettre?

A : C’est un peu une auto critique [rires] mais c’est la réalisation du côté « boys club » profondément sexiste de l’EPFL, j’ai participé par l’effet de meute aux discriminations sur les rares filles qu’il y avait en physique. Après coup c’est un truc qui me travaille. Même dans le Couac, je me rends compte que nos vannes faisaient partie de cette ambiance mortifère au possible. Partir du campus m’a ouvert un peu l’esprit, avec des promos plus égalitaires…  J’ai vu que ça avait beaucoup évolué avec Paye ton EPFL, ça m’a pas du tout étonné, je me suis dit « mais bien sûr »!Sinon un conseil : n’hésitez pas à sortir du chemin tout tracé de l’ingénierie, par pitié n’allez pas dans les banques, ni dans la finance verte [rires].