« J’ai en permanence 200 à 300 tâches sur ma liste »

Etudiante en informatique à l’EPFL, Tamara Paris a fait partie des 35 finalistes internationaux pour la bourse McCall MacBain de l’université McGill. Son dossier a été retenu parmi des candidates et candidats issus de plus de 1200 universités du monde entier. Elle nous parle de son parcours, de son incroyable organisation mais aussi de son anxiété.

Je te laisse te présenter

Je m’appelle Tamara Paris, j’ai 22 ans, je viens d’une petite ville près de Dijon en France. J’ai fait mon lycée là-bas et ensuite je suis venue à l’EPFL pour faire mon Bachelor en informatique que je vais terminer cet été.

Comment as-tu entendu parler de la bourse McGill?

Comme toutes les personnes de ma promo qui ont obtenu une bonne moyenne en première année, j’ai reçu un e-mail de l’EPFL qui en faisait la pub. Le but de cette bourse est d’attirer des personnes qui ont des compétences de leadership dans des projets humanitaires pour les pousser à faire de gros projets au Canada. Elle ne concerne pas uniquement les personnes en ingénieurerie, elle est ouverte à toutes et tous.

Il y a trois types de bourses : la grosse qui soutient tous les frais de scolarité et de vie. En plus elle offre des formations spéciales sur le leadership et management d’équipe ainsi que du mentoring, ce qui est bien pour mes projets. La bourse de finaliste qui offre 20 000 dollars canadiens et qui permet aussi d’avoir accès aux formations mais pas au mentoring. Et enfin la bourse régionale qui offre 10 000 à des étudiants qui se sont démarqués en demi-finale.

De base, je n’étais pas trop partante et je n’y ai pas trop réfléchi. En plus, le mail faisait assez peur ; ils parlaient d’élèves « excellents », moi j’avais une bonne moyenne mais je n’étais pas dans le top 10 quoi ! J’ai ensuite regardé de plus près les critères et j’ai vu qu’ils prenaient en compte les choses faites à côté des études donc j’ai tenté ma chance !

Comment s’est passée la suite?

J’ai enchaîné de nombreuses interviews par Zoom, puis j’ai été sélectionnée pour la finale. Je suis donc partie au Canada pour quelques jours en mars pour défendre ma candidature. C’était une expérience incroyable et extrêmement enrichissante. Le concours est international donc c’est super varié. J’ai adoré ce séjour, il y avait un tel mélange de cultures et j’ai rencontré énormément de personnes incroyables et super impressionnantes ! En plus j’ai adoré Montréal. C’était la première fois que j’y suis allée et j’avais déjà envie d’y vivre [rires].

 

Il y avait 35 finalistes internationaux en compétition, et 10 personnes ont remporté la grande bourse. Malheureusement je ne l’ai pas eue mais je suis trop heureuse pour les personnes qui les ont gagnées. Je sais qu’ils et elles en avaient plus besoin que moi et j’ai tout de même obtenu celle à 20’000 dollars ce qui est déjà énorme ! En plus ça me permet de changer d’air et de pouvoir étudier dans une université top et un pays incroyable avec des amis de tous les continents, je suis trop contente.

Je suis super fière de moi mais je continue à dire que je l’ai eue car j’ai postulé, il y a sûrement beaucoup de personnes extraordinaires et meilleures que moi mais qui n’ont tout simplement pas tenté leur chance !

Ton parcours y est tout de même pour beaucoup, peux-tu nous en parler?

Au début de ma deuxième année à l’EPFL, j’ai intégré le Coaching IC en tant que coach prévention. Plus ou moins au même moment, j’ai rencontré un ami qui voulait organiser une semaine de pré-rentrée pour les nouveaux et nouvelles qui arrivent à l’EPFL. Ça m’a motivée et on a fait ça tout l’été avant la rentrée, c’est comme ça qu’est née la commission Students for Students (S4S). De septembre à environ avril j’étais dans la présidence. C’était une belle expérience et j’ai pu voir tout le travail qu’il y a derrière la création d’une commission pour pouvoir ensuite organiser les prochaines éditions. C’est ce qui m’a vraiment lancée dans l’idée d’aider les gens pour les cours, je me suis rendue compte que j’adorais ça.

En même temps je faisais de l’assistanat et j’ai ensuite fait mentore. Ce qui m’a énormément plu. Je suis très fière de moi et de l’aide que j’ai pu fournir à mes mentorés. Je me suis épanouie dedans. J’aime la reconnaissance que m’offrent les étudiantes et étudiants. Ce qui me rend heureuse c’est d’aider les gens et avoir du feedback direct, c’est plus précieux que de l’argent pour moi, même si le fait que ce soit payé n’est pas de trop !

Pendant l’année, j’ai voulu prendre du temps pour moi et ma santé mentale et j’ai arrêté S4S. Mais j’ai ressenti un vide, je n’avais plus grand-chose à faire donc j’ai commencé à chercher des activités. C’est là où j’ai découvert Pratik (https://pratikapp.fr/), ce projet dans lequel je suis investie depuis environ un an. J’adore ça mais ça me prend énormément de temps.

En plus de ça, je suis déléguée de classe et déléguée CERES (ndlr : Commission des Étudiant.e.s Représentant.e.s des Sections). Je m’occupe de la section informatique et du master cybersécurité.

Sinon, j’ai pleins d’autres petits projets qui touchent surtout aux jeux vidéo. J’en ai notamment parlé aux interviews pour la bourse même s’ils ne sont pas finis. Ça me permet de montrer que je fais de nombreuses choses à côté des études.

Pour en revenir à ton plus grand projet, c’est quoi Pratik?

C’est un projet associatif qui répertorie tous les lieux qui peuvent être utiles pour des personnes en situation précaire. Donc on y trouve les douches et toilettes gratuites, des fontaines à eau, des distributions de nourriture etc. C’est un travail monstrueux, il y a énormément de données. En ce moment on a couvert toute l’Occitanie donc ça fait du travail !

Installation d’une borne PratiK à Montpellier

La majorité des bénévoles se trouvent à Montpellier, donc je fais tout à distance. Je m’occupe de la partie informatique dedans. J’y dirige une équipe et on s’occupe de la partie data et de l’application qui est en ce moment (enfin !) en phase de test. J’ai beaucoup bossé dessus, mais après m’être rendue compte de la quantité de travail nécessaire, j’ai trouvé une petite équipe de développeurs à l’EPFL que j’ai ramené sur le projet.

On travaille avec des instances étatiques, comme le Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) en France. Ils ont énormément de données déjà existantes ce qui nous permet de gagner du temps. On est en ce moment en train de discuter avec d’autres partenaires pour étendre à toute la France et, un jour on espère, à la Suisse. J’ai discuté avec les services sociaux à Lausanne mais pour l’instant ils ne souhaitent pas donner de la visibilité à leurs offres sociales.

Ce projet m’apporte énormément, il développe beaucoup de compétences. Il y a une grande évolution du projet qui est possible avec pleins de fonctionnalités qu’on aimerait implémenter. Bref, j’en suis fan et je pourrais en parler pendant des heures ! [rires]

 

Est-ce qu’étudier à l’EPFL était ton premier choix ?

Oui ! Venant d’un petit lycée en France, on m’avait découragée de postuler dans les grandes prépas comme Paris. Dans le pays, il y a un sentiment de ne pas avoir la possibilité d’aller dans des grandes écoles si on ne vient pas d’une grande ville. Mes professeurs m’avaient dit que cela ne valait pas la peine, que je n’avais aucune chance malgré ma bonne moyenne au bac (19/20).

Donc je me suis dit que l’EPFL c’était idéal, c’est une opportunité pour les personnes qui viennent de petits lycées français. J’ai tout de même été sélectionnée dans une super prépa à Lyon mais mon choix était fait !

C’était comment ta première année ?

Alors en fait j’ai eu une première année assez mouvementée. Je l’ai faite dans la section maths et c’était l’année Covid. J’ai réussi mon premier semestre mais je me suis rendue compte que je n’aimais pas vraiment les cours, ce n’était pas pour moi. En plus, l’ambiance dans la section ne me convenait pas trop, c’était super misogyne et il y avait énormément de commentaires déplacés. Je ne sais pas comment c’est maintenant, je suis peut-être tombée sur une mauvaise promo. Je pense que c’était ma pire année à l’EPFL, en plus de cela, j’étais super stressée et les cours étaient difficiles donc je me suis désinscrite de certains examens d’été.

Je voulais tout de même rester à l’EPFL, ma matière préférée c’était Information, Calcul et Communication (ICC). C’était le seul cours où je prenais plaisir à programmer et effectuer les exercices, donc j’ai changé pour la section Informatique.

Ma deuxième première s’est super bien passée, les cours me plaisaient énormément et en plus j’avais des bonnes notes – ce qui est assez classique quand on refait sa première année. Malheureusement, le Covid était encore à nos trousses, il y avait les modulos (ndlr : une mesure adoptée pour lutter contre les restrictions du nombre de personnes, 1/3 des étudiant.es suivaient les cours en présentiel et le reste à distance) donc j’étais isolée et je ne m’étais pas trop penchée sur le monde associatif à part à Polyquity où j’ai notamment participé au projet « Paye ton EPFL », j’ai bien aimé même si je n’étais pas super engagée.

Adapte ta vie à ton problème et tu seras 10 fois plus efficace que si tu essaies de rentrer dans un moule de gens qui n’ont pas ton problème.

Comment tu t’organises pour gérer tes études et les projets que tu mènes en parallèle ?

J’ai une organisation très complexe, quand j’en parle aux gens ils pensent que je suis un robot. [rires] Avant, je n’étais pas du tout organisée et j’avais énormément de peine à trouver la motivation pour travailler, aucun système d’organisation ne me convenait. Ça paraît ridicule mais j’ai eu un grand changement grâce à un livre que j’ai lu et ça m’a ouvert les yeux.

Ce livre c’est “Getting things done” de David Allen. Je ne suis plus sa méthode à la lettre, mais j’ai mon propre système dérivé que je tiens depuis maintenant deux ans et ça fonctionne super bien. Ce fut un déclic, je suis passée d’une productivité médiocre à une productivité énorme. Mais je ne sais pas si je le conseillerais, il est assez extrême.

Pour le résumer, je divise toutes mes tâches – que ce soit regarder un cours ou faire mes courses, par poids. Je les liste toutes et j’ai donc 200 à 300 tâches en permanence sur ma liste, que je divise ensuite par poids selon le temps et l’énergie qu’elles vont me prendre. J’ai ensuite des objectifs à atteindre sur la journée et la semaine, ce qui explique que tout est une tâche, comme aller chez le médecin. Sinon j’aurais l’impression de perdre du temps alors que je m’occupe de ma santé.

Ce nombre gigantesque de tâches ne te fait pas peur ?

Non ! Au contraire, ça me motive. Sans elles je me sentirais vide et ça me permet de savoir où je vais, je sais que j’ai de quoi m’occuper les prochains mois [rires]. En plus, comme il y a de tout et de n’importe quoi, j’ai conscience que je ne dois pas tout faire aujourd’hui.

Je ne pense pas que ce système fonctionnerait pour tout le monde, moi il me va notamment car je fais tous mes cours à distance. En plus, j’ai beaucoup d’anxiété – je fais beaucoup de crises d’angoisses, et mes journées en deviennent super aléatoires, ce qui ne me permet pas de bloquer des moments dans la journée comme la plupart des personnes.

Je peux donc moduler en fonction de mon état psychologique journalier. Ça me permet de rester productive et motivée malgré mes hauts et bas. Je dis toujours adapte ta vie à ton problème et tu seras 10 fois plus efficace que si tu essaies de rentrer dans un moule de gens qui n’ont pas ton problème. Donc je ne me force plus à travailler quand je ne suis pas bien, je ne me force plus à aller en amphi quand je fais une crise de panique etc. C’est mon meilleur conseil pour les personnes angoissées, et je sais qu’il y en a beaucoup ici à l’EPFL !

Il y a eu des sacrifices pour en arriver là où tu en es aujourd’hui ?

De nombreuses heures de sommeil ! [rires]

Avec les cours, le mentorat, l’assistanat, Pratik et la délégation ça s’enchaîne et je dois bien m’organiser. Certains semestres c’est très dur, je travaille beaucoup et je ne dors pas beaucoup. Même pendant les vacances et les weekends je ne connais pas le repos. Je ne sais pas quand était la dernière fois que j’ai pris une journée complète de pause. Mais si je ne fais rien, je déprime, j’ai comme un vide qu’il faut remplir.

Je pense qu’une grosse partie de mes soucis venait du fait que je calculais mal mon temps, ce qui me faisais prendre du retard sur mon sommeil car rendre quelque chose en retard me brise. Certaines périodes ont été difficiles mais je n’apprends pas de mes erreurs car je refais parfois la même chose… Mais j’ai tout de même appris qu’il fallait que je délègue et que de nombreuses personnes sont motivées à m’aider et à participer à des projets !

Est-ce que tu as déjà fait un burnout ?

Je flirte en permanence avec lui. Comme pour beaucoup, certaines périodes sont très dures. J’ai énormément d’anxiété et l’EPFL a décuplé ces soucis avec l’énorme pression et la quantité de travail qu’on nous impose. Je n’ai jamais été « officiellement » en burnout mais j’ai souvent été prévenue par ma psychologue que j’avais des symptômes et que je n’étais pas loin. Le souci que j’ai, et je ne pense pas être la seule, c’est que si on se dit en burnout, et bien on a l’impression qu’il faut tout arrêter. Mais lorsqu’on est dans la lancée, il faut finir. J’ai cette impression que si je me mettais en arrêt maladie, je n’aurais pas mon diplôme et je gâcherai tous mes efforts passés.

Dans quoi te vois-tu plus tard ?

Étant donné que j’adore aider académiquement, je pense que je me vois un peu en professeure. Mais pour l’instant ce n’est pas trop la ligne dans laquelle je me dirige. Peut-être qu’à la fin de ma carrière quand j’en aurai trop marre de courir dans tous les sens j’y remédierais [rires].

Je pense que je me vois plus dans des projets de grande envergure de type Pratik qui ont des impacts positifs sur la société, c’est vraiment important pour moi. Je préfère vivre dans un 10 mètres carré mais pouvoir aider les gens et avoir cette adrénaline qui vient en voyant l’impact que j’apporte.