Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis chercheur à l’EPFL depuis décembre 1989. Actuellement, je travaille en tant que maître d’enseignement et de recherche en informatique, mais j’ai commencé au laboratoire d’infographie. Déjà à l’époque je m’intéressais à la réalité virtuelle, car j’étais impliqué dans les algorithmes d’animation par ordinateur de personnages 3D. Quand le laboratoire a fermé, j’ai continué de manière autonome la recherche en restant dans le domaine de la réalité virtuelle.
Ma recherche porte sur la question de l’incarnation: lorsque nous mettons un casque de réalité virtuelle, notre corps réel disparaît, il y a donc des conditions à remplir pour que l’avatar que nous allons proposer remplace notre corps. Je travaille avec 3 doctorants dans ce groupe de recherche.
Arrivez-vous à trouver du temps pour vous avec cette activité professionnelle ?
C’est vrai que c’est très prenant niveau temps…quand j’avais moins de responsabilités dans les années 90, je faisais beaucoup de photos en noir et blanc en argentique, j’étais président du Club Photo.
Mais avec le temps ça fait un moment que je n’en fais plus ; je vais peut-être m’y remettre et refaire du portrait à l’approche de la retraite. Sinon bien sûr, travaillant à côté du lac, j’aime beaucoup les activités nautiques, je suis très paddle ! J’aime aussi me baigner dans le lac toute l’année. L’avantage c’est qu’en hiver, si on veut rester vivant il ne faut pas rester longtemps dans l’eau à 7°C !! Depuis le covid je vois de plus en plus de monde qui partage cette pratique. Ça fait une sorte de choc, ça purge le stress.
J’ai vu que vous avez fait vos études en France, est-ce que vous pouvez décrire votre parcours académique avant d’arriver ici ?
Après le baccalauréat scientifique, j’ai pu entrer à l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Rennes sur dossier. Ce que j’aimais beaucoup dans l’approche de cette famille d’école d’ingénieurs, c’est le système de classe préparatoire intégrée, un peu dans le même esprit que l’EPFL.
Est-ce que vous pouvez nous décrire une journée type si elle existe ?
Alors justement l’intérêt de ce genre de travail c’est qu’il n’y a pas de schéma répétitif, si ça l’était je ne serais pas là. Il y a un certain nombre de choses à faire, comme par exemple l’enseignement, la recherche, l’encadrement de la recherche, les interactions avec les doctorantes et doctorants. Bien sûr il y a des moments de rush où il faut faire la soumission d’un article et ça passe par des itérations de réécriture et de relecture avant une conférence ou une publication… ça rythme la vie du labo.
Mais ça n’est jamais une répartition régulière, parfois des délais imposent de se consacrer à la rédaction d’articles et à la préparation de conférences, ou même à l’évaluation d’articles. D’autres périodes nécessitent de s’atteler aux rendus des étudiantes et étudiants, aux feedbacks… Traiter le cas général est « facile » mais on passe beaucoup de temps dans les cas particuliers.
En cherchant un peu j'ai retrouvé des mails de lorsque j'étais votre élève, avec des horaires d'envoi parfois tardifs, est-ce que vous arrivez à avoir vos 7-8h de sommeil ?
Suite au Covid et au confinement, j’ai changé mon cycle de sommeil. Je me lève à 5h, j’arrive à 6h15 sur le campus, donc forcément le soir je suis fatigué. Je suis retourné en présentiel sur le campus dès que j’ai pu, je préfère, il y a moins de tentation de rester au lit ! Là, j’ai un train que je ne dois pas rater ! J’ai aussi remarqué que je travaillais mieux le matin, j’ai les idées plus claires, donc toutes
ces choses font que je suis dans ce mode depuis le retour du confinement, et quand les beaux jours arrivent ça me permet d’aller au lac en fin d’après-midi, ou de ne pas rentrer tard.
Vous avez été affecté par le confinement ?
Quand même oui… Les câbles, les micros, les traitements des vidéos, c’était très chronophage…
Quel genre d’évolution du campus avez-vous observé depuis votre arrivée en 1989 ?
Déjà une croissance continue du nombre d’étudiantes et d’étudiants et du campus en lui- même, avec souvent des grues par ci par là, un peu moins maintenant… Il y a eu toute une réorganisation et des regroupements des anciens départements en facultés. Du côté des étudiantes et étudiants, le seul gros changement est l’adoption de la structure bachelor/master, au lieu de faire 5 ans, on découpe en 3+2. Au début, il n’y avait pas la possibilité de partir au bout de 3 ans. J’ai remarqué que quelques étudiantes et d’étudiants partent après le bachelor, à l’ETHZ par exemple. A l’inverse, l’EPFL attire de plus en plus au niveau master et il y a aussi une flexibilité, une ouverture à des changements de formation.
©Ronan Boulic, Photo d’élément d’architecture
Et pourquoi avoir choisi de venir en suisse plutôt que d'enseigner dans une école française ?
Après mon doctorat en France, j’ai fait un post-doctorat d’un an au Canada, un professeur de mon jury de doctorat étant basé là-bas. Ce dernier a ensuite eu un poste à l’EPFL, et j’ai saisi l’opportunité de le suivre. La question de revenir faire de la recherche en France s’est posée ensuite, mais un poste au labo d’infographie s’est présenté, puis j’ai fondé une famille, et eu davantage d’attaches ici…
En tant qu'enseignant, voyez-vous chatGPT comme un outil pour apprendre à coder ou au contraire comme un danger pour la compréhension en profondeur de votre cours ?
ChatGPT en tant que tel pas spécialement, mais il y a des outils rattachés dédiés à la programmation. Si ces outils sont trop puissants, ils risqueraient de faire le travail à la place des étudiantes et étudiants, mais ce serait de notre faute. Ça voudrait dire qu’on donne des exercices trop standards pour lesquels il existe déjà des solutions pré-faites. Après pour un élève qui travaille correctement, c’est un accélérateur qui le rendrait plus efficace mais je ne pense pas qu’on puisse se reposer là-dessus. C’est d’ailleurs pour ça que lors de l’élaboration des sujets des projets, ça prend un peu de temps de trouver un sujet vraiment original. D’ailleurs je me souviens en général des différentes volées en les associant aux projets que je leur ai préparés.
Vous venez de Bretagne, entre le climat breton et lausannois, lequel choisiriez-vous ?
La Bretagne c’est une sorte de passe-bas par rapport à la Suisse: il fait moins froid l’hiver, moins chaud l’été. Pour le réchauffement climatique, on souffrira peut-être moins en Bretagne ! J’aime bien y passer du temps en été, profiter de la côte et jardiner !
Une rumeur est présente dans les amphis que vous fréquentez, il paraît que vous connaissez tous les prénoms de vos étudiantes et étudiants, mythe ou réalité ?
Alors c’est une fausse rumeur parce que je ne connais pas les prénoms, si je connais quelque chose, c’est les noms de famille, car ils sont référencés sur mon fichier excel, par contre c’est illusoire de croire que je les connais tous ! Mais forcément sur deux semestres, il y a des affinités qui se créent avec les étudiantes et étudiants qui viennent en amphi.
On peut vous apercevoir tous les ans dans les couloirs de SYSMIC, à la plus grande surprise et joie des “premières années”...
Et bien oui, je suis invité c’est pour ca !
Vous pourriez ne pas venir…
Non non j’aime bien, à l’EPFL il y a SYSMIC et Vivapoly qui sont deux évènements que je n’aimerai pas rater ! Il y a une bonne ambiance, avec des esprits différents: Vivapoly est à l’échelle du campus avec toutes les associations, le personnel, SYSMIC est plus spécifique à la section de microtechnique.
Et à SYSMIC vous participez également à la soirée avant dans l’amphi en CE…
Oui, on est quelques uns invités à participer, c’est spécial le CE6 ! En général on arrive pas à entendre la bande son préparée par les organisateurs tellement le niveau sonore est élevé !!
Ca a été créé un peu avant qu’on me demande d’enseigner en Microtechnique. Ils m’avaient invité lors de mes débuts à l’EPFL et j’étais resté dans le public. Il y avait beaucoup moins de monde à la fin des années 90. C’était très sympa, mais les organisateurs avaient demandé aux professeurs de chanter quelque chose, alors que je me suis dit “Oulah, s’ ils me demandent de chanter il vaut mieux que je prenne des cours !”. Donc j’ai pris quelques cours, après évidemment ça me servait surtout pour parler en auditoire, pour poser un peu la voix. Je ne chante qu’une fois par an, et c’est à SYSMIC !
Est-ce que vous avez constaté une évolution du niveau des élèves ces dernières années ?
C’est difficile à dire… D’un point de vue administratif on a les Français qui sont passés d’une mention “bien” à la mention “très Bien”, donc mécaniquement, avec quelque chose comme 30 pourcent, ce n’est pas négligeable. Donc du côté français oui, du côté suisse je ne peux pas vraiment dire ça. Peut-être que mes collègues dans les sciences de bases diraient que le niveau est un peu plus faible mais je ne peux pas m’avancer là-dessus. Dans une matière comme la programmation on part de zéro, il n’y a pas de prérequis. Il y a toujours eu une petite minorité d’autodidactes passionnés déjà très bons mais ce qu’on peut observer c’est qu’aujourd’hui une majorité à des petites bases…et c’est bien ! Certains concepts passent plus rapidement, et d’un autre côté, certains pensant déjà avoir des bases relâchent un peu l’effort côté programmation pour le consacrer à la théorie. C’est ce que j’ai constaté au semestre dernier.
Est-ce que vous avez une anecdote quelconque à nous raconter?
Je suis nul en anecdote… Si, je me rappelle d’une fois en salle de travaux pratique, je me baladais pour vérifier que tout se passe bien, et un étudiant m’avait marqué. Au lieu d’être le nez dans le guidon à coder, il avait pris une feuille de papier et il avait dessiné sa structure avec une idée très claire de où il voulait aller. C’était vraiment la démarche dont je rêve chaque fois de la part des étudiantes et étudiants, la capacité de prendre ce recul de l’analyse papier crayon avant de se lancer dans le codage. Par curiosité, j’ai regardé ce qu’il était devenu et il est maintenant dans la région de San Francisco dans une start-up ! Ca m’avait tellement frappé que j’en ai parlé en cours après !
Une autre anecdote me vient, quand j’étais doctorant à l’Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (IRISA) de Rennes, les doctorantes et doctorants n’avaient pas de tâches liées à l’enseignement car cet institut de recherche est indépendant
de l’université.
Un jour mon directeur de thèse m’a demandé si je me destinais à l’enseignement (implicitement « enseignement supérieur à l’uni ») et je lui ai répondu: « jamais de ma vie » en étant absolument certain que ça n’arriverait jamais.
Voilà, comme quoi il ne faut jamais dire jamais.
Finalement, est-ce que vous avez un message à faire passer aux étudiantes et étudiants qui se poseraient la question de rejoindre l’EPFL ?
Ce que je trouve bien à l’EPFL, c’est que même si il y a un socle des matières fondamentales de base, il y a déjà une composante orientée “métier”, et je pense qu’il faut continuer à offrir cette orientation spécifique dès le début. Et si une personne se rend compte que ce n’est pas sa voie, il peut grâce à la flexibilité de cette école se réorienter. On n’est pas condamné à poursuivre dans une voie dans laquelle on ne se sent pas vraiment à sa place. En première année, il y a les rencontres avec les personnes de sa section mais aussi avec celles des autres sections ! Depuis le Covid je me réjouis que les étudiantes et étudiants soient revenus sur le campus et interagissent. Des fois, des personnes sont mieux à la maison, mais je trouve qu’en venant ici, « le tout est plus que la somme des parties », c’est-à-dire qu’ensemble les personnes créent des choses qui n’auraient pas eu lieu si chacun était chez soi !