Quel a été votre parcours pour en arriver là ?
J’ai fait mes études en sciences de la vie (SV) à l’EPFL, en bioingénieurie pour être précis. J’ai effectué mon projet de Master dans une entreprise d’implants rétiniens où j’ai été engagé par la suite. Lors de mes premières années en entreprise, la courbe d’apprentissage entre les études et le monde professionnel n’a pas été évidente. Par exemple, j’ai rejoint une équipe interdisciplinaire beaucoup plus grande que ce dont j’avais l’habitude. Les rendus nécessitaient plus de rigueur, il fallait faire beaucoup de prototypage rapide et faire preuve d’agilité. Ce n’était pas facile au début et j’ai fait des erreurs bêtes qui auraient pu être évitées avec plus d’expérience.
Julien Delisle à l’inauguration du SPOT
© EPFL – Alain Herzog
J’ai passé 3 ans dans cette entreprise puis j’ai décidé d’arrêter pour des raisons écologiques notamment, car il fallait prendre souvent l’avion pour ce travail. J’ai entendu parler des projets comme Hydrocontest ou Solar Decathlon (toutes les infos et interviews se trouvent sur le site make.epfl.ch). Ces projets fonctionnaient grâce à la volonté de professeurs et professeures, ainsi que beaucoup d’étudiantes et d’étudiants, qui se donnaient beaucoup de peine mais il n’y avait pas encore un environnement institutionnel qui facilitait la réalisation de ces projets. Je les considère comme des pionniers et pionnières d’avoir essayé ce type de projet interdisciplinaire dans une structure qui n’était pas encore prête. Aujourd’hui ça va mieux, mais la structure en place n’est pas encore optimale.
L’EPFL souhaitait développer ces projets interdisciplinaires pour les proposer aux étudiantes et étudiants de toutes les sections de l’école et j’ai postulé car c’était exactement ce qui m’avait manqué durant mes études : la gestion d’équipe interdisciplinaire, la gestion de projets professionnels dans des structures similaires à ce que l’on retrouve dans l’industrie. J’ai donc rejoint la vice-présidence associée pour l’éducation (A-VPE) qui soutient ces projets.
En quelques mots, qu’est-ce qu’un projet MAKE ?
Le but principal d’un projet MAKE est de pouvoir, avant la fin de ses études, participer à un projet similaire à ce que l’on peut rencontrer dans le monde professionnel. Cela permet notamment de développer des compétences transversales : faire face à certaines formes d’incertitudes qu’on ne retrouve pas dans les cours, se rendre compte de certaines limitations lorsqu’on prototype, devoir faire preuve d’un esprit entrepreneurial et donc de devoir cultiver la rigueur et la constance pour atteindre ses objectifs malgré les obstacles. Le nom MAKE représente quelque chose de concret, on n’est plus uniquement dans la théorie.
Solar Decathlon
© EPFL – Alain Herzog
Quel est votre rôle en tant que coordinateur ?
Je suis là pour soutenir les projets qui émergent et qui motivent la communauté étudiante. Toute une partie de ces projets n’est pas créditée, il faut la bonne volonté des étudiantes et étudiants. J’ai donc essayé de mettre en place cette structure qui facilite la mise en place des idées étudiantes. J’aide dans la phase initiale puis j’essaie de m’effacer. Donc il faut accompagner les étudiants et étudiantes, les mettre en contact avec les grosses structures et trouver un professeur ou une professeure. Mon but est qu’il y ait du leadership de la part des étudiants et étudiantes.
Les projets MAKE existent depuis longtemps, par exemple la Rocket Team ou encore iGEM étaient là avant que j’arrive, mais il n’y avait pas de structure, pas de programme ni de partage de bonnes pratiques et les professeurs et professeures avaient beaucoup de travail. Je me suis donc appuyé sur ce qui existait pour créer cette structure qui est venue en appui.
Mon rôle a évolué au fil des années, ça fait 5 ans que je suis là. Lorsque je suis arrivé, le SPOT n’existait pas. Le SKIL, géré par Samuel Cotture, était le seul makerspace du campus, il n’y avait pas d’infrastructure adaptée pour stocker les prototypes de tous les projets — aujourd’hui ça va mieux mais c’est toujours un challenge pour une bonne moitié des projets MAKE en cours.
J’ai essayé de créer un portefeuille de projets à proposer à la communauté estudiantine, impliquant toutes les sections de l’école, que tout le monde puisse trouver son bonheur et puisse avoir une simulation des défis qu’on peut rencontrer dans le monde professionnel.
Projet SP80
© EPFL – Alain Herzog
J’ai aussi beaucoup d’autres choses à mettre en place et je collabore avec Samuel Cotture pour assurer le bon fonctionnement des makerspaces. Ce n’est pas facile de faire cohabiter pleins de projets. Je dois faire en sorte que les infrastructures du SPOT fonctionnent et qu’elles soient le plus accessible possible. Il faut que les étudiants, étudiantes et coachs ne perdent pas trop de temps dans des difficultés administratives. Sinon personne n’a l’opportunité de faire ces projets.
Comment cela se passe lorsqu’on a une idée et qu’on veut créer un projet ?
La première étape, ce n’est pas de remplir un formulaire mais d’en discuter. On veut construire autour de cette motivation. Ensuite, il faut coordonner tout ceci, on va essayer de joindre les forces. Sinon, on peut se retrouver avec plusieurs sections qui font le même projet. On va regarder ce qui motive l’étudiant ou l’étudiante. Il y a plein de formats possibles, si un projet MAKE n’est pas le plus adéquat, je vais rediriger la personne vers Blaze qui est un accélérateur de startups, ou vers l’associatif, comme par exemple Robopoly. Peut être que je vais simplement la rediriger vers un projet existant. C’est un peu un travail de matchmaking. Car à l’échelle de l’institution, on n’a malheureusement pas des ressources infinies et c’est difficile de répondre à toutes les nouvelles demandes. Pour monter un projet MAKE, il faut beaucoup d’énergie. C’est comme monter une entreprise, il faut être motivé.
Voiture de l’EPFL Racing Team
© EPFL – Alain Herzog
Théoriquement, les professeurs et professeures peuvent proposer des idées également. Par exemple, Solar Decathlon était une idée d’une professeure de la faculté d’ENAC. Mais c’est toujours plus difficile lorsque l’initiative vient d’un ou d’une professeure. C’est souvent déjà trop défini, trop cadré et les étudiants et étudiantes qui viennent simplement pour réaliser un projet s’en sentent moins propriétaires du projet. Ce qui fonctionne bien c’est quand les professeurs et professeures co-crééent avec des étudiants et étudiantes. Mais la meilleure manière est quand tout est initié par un groupe estudiantin et qu’ensuite on trouve un professeur ou une professeure pour soutenir le projet et apporter la bonne expertise académique. Si les étudiants et étudiantes sont laissés seuls sans cette supervision, ils se retrouvent vite devant des barrières administratives, et passent plus de temps sur de l’administratif que sur le projet. Mon rôle est donc aussi d’assurer cet équilibre en trouvant les bons appuis pour les projets.
Quels sont les critères pour qu’un projet soit considéré comme un projet MAKE ?
Tout est listé sur le Wiki du site. Il y a plusieurs critères, par exemple :
– Learning by doing, qui est un critère pédagogique concernant la dimension pratique. On ne veut pas rester uniquement dans la théorie, mais appliquer celle vue en cours.
– Open ended : Il ne doit pas y avoir qu’une seule solution, le projet doit être assez complexe pour être résolu avec plusieurs solutions. On doit apprendre à faire face à des choix.
– Transversal skills : Le projet doit être accompagné de gestion de projet et de ressources humaines. On doit y apprendre comment gérer une équipe, collaborer, documenter, etc. C’est un terrain extraordinaire pour se tromper et apprendre de ses erreurs. On aimerait améliorer l’accompagnement des étudiants et étudiantes sur ce point. Ils ont souvent la tête dans le guidon, mais c’est important parfois de s’arrêter, de discuter et d’avoir une réflexion sur soi-même. Souvent, les projets sont difficiles et on a de la peine à prendre du temps pour ce genre de choses.
– Sustainability : Cette partie dépend vraiment du projet. Parfois, les projets sont surtout axés sur une dimension de durabilité forte. Sinon, on essaie de rendre attentif à la durabilité, on demande de réfléchir à son projet avec une approche systémique et globale.
la Carbon Team
© EPFL – Alain Herzog
Quel type de soutien est apporté aux étudiants et étudiantes ?
On a partiellement du soutien financier, mais il faut aussi trouver des sponsors la plupart du temps. Au début on essaie de donner beaucoup de conseils. On aide aussi sur l’aspect infrastructures, mais on ne peut pas répondre à tout, les espaces de stockage sont déjà plein. Le reste va dépendre du projet, on discute au cas par cas. On essaie de trouver des laboratoires de recherche qui pourraient mettre leurs ressources à disposition. On aide aussi sur la partie prototypage et testing.
Est-ce que des projets MAKE ont évolué en startup ?
Ces projets sont à but éducatif, mais certains étudiants et étudiantes ont identifié un potentiel de startup après avoir participé à un projet MAKE. Ces derniers peuvent permettre d’identifier un marché à exploiter. De plus, participer à un projet permet d’obtenir de l’expérience et d’apprendre énormément lde choses non enseignées en cours.
Récemment, on a vu apparaître plusieurs projets embryos, que sont-ils ?
C’est un tout nouveau format, pour qu’un petit groupe d’étudiantes et étudiants motivé par une idée, qui n’a pas d’encadrement académique, puisse se lancer dans un projet.
On va donc partir dans la philosophie MAKE : on commence à faire puis on voit où ça va aller. Si on reste trop longtemps dans la définition du projet, ça peut ne jamais démarrer.
On en prend environ 5 par année, on n’a malheureusement pas assez de ressources pour en accompagner plus. On va donc accompagner les étudiants et étudiantes pour qu’ies puissent trouver les bons partenaires pour le futur. Selon ce qui motive le petit groupe, un embryo ne va pas forcément devenir un projet interdisciplinaire. Cela peut aussi partir en startup.
le SPOT
© EPFL – Alain Herzog
Quels sont les plus grands défis que vous rencontrez en gérant tous ces projets ?
Il y en a plusieurs, ce qui nous donne du travail pour ces prochaines années ! Notamment la reconnaissance du travail des étudiants et étudiantes, avec des crédits. Seulement une petite partie de ces projets est créditée, la majorité est effectuée sur du temps libre. Les étudiants et étudiantes ne doivent pas en oublier leurs études. Comme c’est assez nouveau, cela prend du temps de faire évoluer ceci du côté de l’EPFL. J’ai donc beaucoup de travail de coordination. De plus, si ces projets étaient mieux reconnus, il serait plus facile de motiver les étudiants et étudiantes à y participer.
Sinon, il y a le souci des infrastructures. Elles ne sont pas encore complètes. On a de la peine au niveau du stockage car il y a souvent des grosses structures. Une partie des équipement manquent encore (tous ce qui fait de la poussière comme le bois, la fibre de carbone, le béton etc). Certains projets doivent trouver des locaux en dehors du campus, ce qui n’est pas idéal.
Ce serait intéressant pour que les étudiants et étudiantes passent plus de temps sur le projet. Par exemple, le nouveau pavillion rebuiLT se trouve en dehors du campus. Mais si on avait pu le mettre sur le campus, on aurait pu se concentrer plus sur la partie construction que sur la partie administrative avec les différentes parties prenantes du projet externe à l’EPFL. Je pense donc qu’un des plus gros défis, et un de nos buts, est de réduire la complexité administrative qui entoure ces projets encore aujourd’hui.
Comment voyez-vous l’évolution des projets MAKE au cours des prochaines années ?
Je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup plus en nombre, peut être des plus petits formats. Ce n’est pas évident d’avoir énormément de gros projets. Dépasser 20 projets – Il y en a une quizaine en ce moment, ne serait pas réaliste et il serait difficile d’encadrer les étudiants et étudiantes correctement.
Je pense que le portefeuille de projets va simplement évoluer, de nouvelles idées vont apparaître et les formats changeront. Mais avant d’augmenter leur nombre, il faut notamment résoudre les problématiques d’infrastructure et de complexité administrative encore existante.
la Rocket Team
© EPFL – Alain Herzog
Quel projet vous a le plus marqué ou impressionné ?
J’ai envie de dire tous ! C’est difficile à dire car ils ont tous leurs forces et faiblesses. Ce qui m’impressionne le plus, c’est plutôt de rencontrer un ou une étudiante avec une idée, puis 3 ans plus tard le ou la voir avec son idée réalisée. Si j’étais CEO d’une entreprise, j’engagerai cet étudiant.e direct ! Cette personne aura acquis des capacités de prototypage, de relations humaines et une maturité difficile à acquérir autrement. C’est assez exceptionnel de voir des gens évoluer comme ceci, c’est ce qui me donne envie de continuer.