
Pourquoi est-il important d’encourager les jeunes filles à s’intéresser aux sciences et aux technologies ?
Aujourd’hui encore, peu de jeunes femmes choisissent certaines branches scientifiques. Pour changer cela, il faut commencer très tôt, leur donner confiance et leur permettre de se projeter dans ces carrières. Les stéréotypes de genre influencent dès le plus jeune âge la perception des compétences : des études montrent que dès 6 ans, les enfants pensent que les garçons sont meilleurs que les filles en robotique, par exemple.
Comment se structure votre programme de promotion des sciences ?
Notre programme à l’EPFL a débuté avec un cours d’informatique destiné aux jeunes filles que j’avais initié lorsque j’étais déléguée à l’égalité. Ensuite, nous avons développé un programme intitulé « Les sciences ça m’intéresse ! », pour les filles et les garçons. Au sein de ce programme il y a plusieurs activités uniquement pour les filles de 9 à 16 ans
- Internet et code pour les filles : elles apprennent à développer leur propre site web et les bases de la programmation graphique.
- Cours de robotique : elles conçoivent et programment leur propre robot.
- Coding club des filles : ateliers de programmation et rencontres coaching avec des mentors qui leur servent de modèles d’identification.
- Cours de mathématiques et de sciences exclusivement pour les filles.
Pourquoi proposer des activités uniquement pour les filles ?
Les schémas culturels existants dans la société font que si une activité dans ces domaines est mixte, peu de filles s’y inscrivent. En revanche, lorsqu’on leur réserve un espace exclusif, les inscriptions sont complètes avec une liste d’attente. Ces activités offrent un espace aux filles où elles peuvent développer leurs potentiel et compétences en compagnie d’autres filles qui ont les mêmes intérêts. Cela nous permet également d’échanger avec les parents sur la place des femmes dans ces domaines et l’importance d’encourager leur fille.
Quels sont les retours sur ces programmes ?
L’objectif principal est que les filles prennent conscience qu’elles sont capables, que les sciences sont passionnantes et non réservées aux garçons. Il est également essentiel qu’elles prennent plaisir à apprendre : nous ne pouvons pas les obliger à suivre des ateliers pendant 11 semaines si elles ne s’y sentent pas bien. Pour valoriser leur engagement, nous organisons des remises d’attestations. En général, sur 100 filles inscrites, seule une est absente.
Aujourd’hui, nous voyons d’anciennes participantes qui ont découvert les sciences grâce à ces cours et qui suivent maintenant des parcours scientifiques. Plusieurs soulignent l’impact de ces cours sur leur choix d’orientation et encadrent à leur tour nos cours pour les jeunes filles. Elles sont des modèles pour les plus jeunes.
Pourquoi la parité dans les sciences est-elle importante ?
Les domaines scientifiques et technologiques sont passionnants et offrent des opportunités professionnelles à ne pas manquer. De plus, le numérique est omniprésent dans nos vies. Il serait inacceptable que seuls les hommes conçoivent ces technologies et que les femmes se contentent de les utiliser. Une diversité de points de vue est essentielle, tant d’un point de vue éthique qu’économique : les besoins en spécialistes sont croissants, et il est primordial de mobiliser toute la population, filles comme garçons.
Pourquoi le progrès vers la parité est-il si lent ?
Nous progressons, et c’est une bonne chose. Cependant, les mentalités évoluent lentement car ces questions sont fortement culturelles. En Malaisie, par exemple, on trouve autant de femmes que d’hommes dans les domaines du numérique à tous les niveaux. Elles ne sont pas confrontées aux stéréotypes et leur entourage les encourage, ce qui joue un rôle crucial.
Ces stéréotypes sont ancrés dans beaucoup de pays occidentaux et doivent être combattus à tous les niveaux, en impliquant divers partenaires. Pour que le changement soit significatif, il faut atteindre une masse critique. C’est pourquoi, par exemple avec le Coding Club des filles, nous intervenons grâce à des partenariats dans toutes les régions de la Suisse. Enfin, il ne suffit pas d’attirer les femmes vers ces carrières, il faut aussi les inciter à y rester. C’est un enjeu pour les universités et les employeurs.
Combien d’enfants touchez-vous avec ces programmes ?
Nous avons un programme mixte dans lequel nous essayons d’atteindre la parité. Nous touchons plus de 20’000 enfants et jeunes par an, avec des mesures telles que des quotas pour les activités extrascolaires. Nous veillons à ce que la dimension de genre soit prise en compte : les images et les récits doivent être attrayants pour toutes et tous, et en classe, nous donnons la parole autant aux filles qu’aux garçons. Dans les groupes mixtes, nous veillons à ce que les garçons ne prennent pas toute la place et que les filles ne soient pas reléguées au rôle d’assistantes.
Comment proposez-vous des exemples inspirants aux jeunes filles ?
Le stéréotype du scientifique, c’est souvent Einstein. Il est important de montrer aussi des figures féminines. Les garçons aussi y trouvent un intérêt. Par ailleurs, les filles sont très sensibles à l’idée d’avoir un impact positif sur la société. Elles ne perçoivent pas toujours comment les sciences fondamentales et techniques peuvent leur permettre d’y parvenir, et nous cherchons à leur en donner une vision concrète.
Pourquoi intervenir dès le plus jeune âge ?
Les rôles de genre se construisent très tôt, dès 6 ans. Si une fille grandit en pensant que ce n’est pas un métier « pour elle », elle risque de manquer de confiance en ses capacités. L’adolescence renforce ces difficultés : être la seule forte en mathématiques peut être un frein si l’on cherche à ressembler aux autres. En créant des groupes de filles partageant les mêmes centres d’intérêt, nous les aidons à se sentir à leur place.
Quels sont les principaux défis à relever ?
Nous voulons toucher une grande diversité d’enfants et éviter qu’un seul type de public participe. Nous observons une entraide précieuse entre elles. De plus, nous veillons à ce qu’aucune question ne reste sans réponse, afin que les filles ne se sentent jamais incompétentes ou illégitimes dans ces domaines.