Les femmes au coeur de la science

06 décembre 2023
Pauline Nicolas
Alors qu’aujourd’hui l’EPFL affiche fièrement ses professeures et scientifiques au féminin sur les façades de ses bâtiments et sur les murs de ses couloirs, remontons quelques décennies en arrière et explorons la place des femmes dans la science.

La principale cause du manque de femmes dans les domaines techniques remonte déjà à l’Antiquité. Des philosophes tels qu’Aristote affirmaient alors que les femmes avaient un cerveau moins développé, étaient incapables de penser de manière abstraite et donc jugées inaptes aux travaux scientifiques. Cette pensée a été reprise par les philosophes du Moyen-Age et a continué de se répandre pendant la Renaissance et l’Époque Moderne.

Durant le XIXe siècle, quelques rares femmes obtiennent l’accès à l’éducation scientifique en raison de leur origine aristocratique ou bourgeoise et de manière autodidacte, commençant ainsi à briser les interdits. Certaines arrivent même à se faire connaitre dans le milieu scientifique en participant aux travaux de leur mari, de leur frère ou de leur père. C’est notamment le cas de Mileva Maric (1875-1948) qui contribue en tant que physicienne aux recherches de son mari Albert Einstein. C’est également à cette époque que Marie Curie, véritable pionnière de la place des femmes dans la recherche, défrichera et préparera la voie aux femmes de science, en devenant en 1903 la première lauréate d’un Prix Nobel. Elle incarnera ainsi pour de nombreuses jeunes femmes la possibilité de devenir de grandes scientifiques. Néanmoins, le nombre de femmes dans la recherche scientifique reste dérisoire et les chercheuses travaillent souvent dans l’ombre de leurs proches.

Pierre et Marie Curie

 A la fin du XIXe siècle, la première vague féministe au sein de l’Europe permet d’entrouvrir timidement les portes des universités aux femmes. Malgré ce premier mouvement, ces dernières restent souvent cantonnées à certains métiers et certains domaines. On observe une hiérarchisation des tâches, notamment dans le monde de la santé, où les hommes exercent les métiers de médecins alors que les femmes accèdent à ceux d’infirmières, d’aides-soignantes ou de puéricultrices.

Il faudra attendre les années 50 et sa politique de démocratisation des études pour que le nombre de femmes dans les universités augmente significativement. Leurs carrières ont cependant du mal à décoller et leur nombre dans le domaine scientifique demeure extrêmement bas.

La deuxième vague de féminisme des années 70 va lancer une campagne de lutte contre la discrimination dans les laboratoires, l’absence de visibilité des femmes scientifiques et le manque de recherches dans des disciplines tels que l’avortement. La machine est lancée : de nouveaux domaines sont explorés, les premiers programmes de féminisation des filières techniques sont menés. La proportion de femmes dans ces branches passera de moins de 20% dans les années 60 à 30% dans les années 70.

Malgré les progrès tout au long du 20ème siècle, les femmes scientifiques ont été les victimes de procédés déloyaux de la part de leurs collègues masculins comme la spoliation de leurs travaux.

La composition des étoiles, l’existence des chromosomes X et Y, la structure de l’ADN, la fission nucléaire, les pulsars ou encore la génétique des bactéries. Toutes ces découvertes, en plus d’être majeures dans le monde scientifique, ont un autre point commun : ces recherches, réalisées par des scientifiques féminines, leur ont été spoliées par leurs homologues masculins, s’octroyant ainsi leur réussite. Cette situation est connue sous le nom de l’effet Matilda.

L’effet Matilda a été théorisé par l’historienne des sciences Margaret Rossiter dans les années 80 mais remonte à bien plus longtemps. Le premier cas recensé date du XIe siècle où la médecin et chirurgienne Trotula de Salerne se voit destituer la reconnaissance de ses travaux sur la santé des femmes devenus pourtant ouvrages de référence.

Malgré la réfutation du mythe que la femme ne dispose pas d’un cerveau capable de traiter des problèmes scientifiques complexes, il subsiste encore, de nos jours, de nombreuses inégalités dans ce domaine. Le nombre d’étudiantes et de chercheuses dans notre école stagne depuis une dizaine d’années, ne représentant qu’un tiers de la population du campus au niveau bachelor, master et doctorat. La principale raison actuelle n’est pas le manque de capacités des jeunes filles, car elles sont souvent plus brillantes au gymnase que leurs homologues masculins, mais plutôt l’appréhension face au choix d’études encore considérées comme éminemment masculines. Afin d’améliorer la place des femmes dans les études et les métiers scientifiques, il convient donc de valoriser les travaux réalisés par les femmes scientifiques et de continuer à promouvoir ces filières auprès des jeunes filles, afin de leur donner confiance pour décider d’entreprendre des études dans ce domaine et ainsi d’être en mesure de développer toutes leurs compétences.

@ Murielle Gerber

Rencontre archivistique avec une pionnière : Cécile ROY-POCHON, première femme diplômée en ingénieurerie électrique à l’EPFL

Cécile ROY-POCHON naît en 1898 à Genève. Encore sur les bancs de l’école secondaire, elle déclare « Je serai ingénieur ». Volontaire, créative, lucide et décidée à déconstruire les préjugés sociaux de son époque, elle concrétise son rêve de jeune fille en obtenant le titre d’ingénieure électricienne en 1921 à l’EPFL (anciennement École d’ingénieurs de Lausanne), alors même qu’en France les écoles d’ingénieurs sont fermées aux femmes. Elle devient ainsi la 4e femme à être diplômée de l’École d’ingénieurs de Lausanne après Cécile Biéler-Butticaz en 1909, Marguerite Kies-Dussaux en 1909 et Suzanne de Dietrich en 1921. Alors que l’EPFL fête son centenaire en 1953, elles ne sont que 17 à avoir obtenu ce diplôme.

Après une carrière en France, Cécile Roy-Pochon se voit devenir en 1953 la première femme de l’EPFL à obtenir le titre de docteur honoris causa, titre décerné par une université ou une faculté marquant sa reconnaissance face aux travaux d’une personnalité éminente. Durant toute sa brillante carrière universitaire et industrielle tournée vers la photoélectricité, Cécile Roy-Pochon aura été félicitée pour ses découvertes et ses publications par ses homologues, démantelant les préjugés sociaux et ouvrant ainsi la voie à d’autres femmes dans ce monde masculin.

Madame Cécile Roy-Pochon (centre de l'image) entourée de ses collègues masculins

Film et livre pour en apprendre plus

  • Un film à voir : Les figures de l’ombre, de Théodore Melfi. Trois femmes afro-américaines, décident de briser les préjugés raciaux et sexistes et réalisent leur rêve de devenir mathématiciennes et de participer à la conquête spatiale en intégrant la NASA dans les années 1950.
  • Un ouvrage à lire : Marie et Bronia : le pacte des sœurs, de Natacha Henry. Varsovie, fin du XIXe siècle, un soir d’automne, un pacte entre deux sœurs rêvant d’aller à l’université malgré l’interdiction aux femmes de faire des études va changer le destin de milliers de scientifiques. Fuyant leur Pologne natale, elles intégreront des écoles parisiennes et deviendront médecin gynécologue pour l’une et physicienne, première femme lauréate d’un Prix Nobel pour l’autre

 

Remerciements à la famille ROY pour les archives sur Mme Cécile ROY-POCHON