Franco Vigliotti
Pouvez-vous vous présenter ?
Physicien de formation, j’étais Doyen de EPFL Middle East avant de prendre le poste à la Vice-Présidence des Opérations il y a 3 ans.
Est-ce que votre formation de chercheur est importante pour votre travail aujourd’hui ?
Ce qui est intéressant, c’est que je viens avec une perspective académique et je comprends quels sont les besoins. Et puis en même temps, je suis en train d’apprendre énormément sur ce qui fait que ça peut fonctionner au quotidien et sur le terrain. Si on comprend la science qui est faite derrière les projets qui sont demandés, on est aussi mieux à même de voir si ça peut être réalisé autrement, meilleur marché ou de manière plus simple. Cela ne nous substitue pas aux professeur·es et chercheur·euses qui ont des besoins mais j’ai le sentiment d’être mieux à même de comprendre les besoins et poser les bonnes questions.
Les limites du campus aujourd'hui
Il y a de plus en plus d’étudiantes et étudiants à l’EPFL ces dernières années, qu’est-il prévu pour répondre à cette augmentation ?
En 2010, il y avait 7’370 étudiantes et étudiants à l’EPFL, actuellement il y en a 14’374. Cette croissance est un défi majeur et le manque de place se fait sentir. La Vice-présidence académique (VPA) estime une dette de 6000 places d’enseignement. La limite de 3000 entrées en BA1 demandée au Conseil des écoles polytechniques fédérales (CEPF) pourra aider à réguler l’afflux des étudiantes et étudiants dans les prochaines années, ainsi que limiter une croissance trop rapide. Par ailleurs, nous essayons de mettre des espaces polyvalents, comme l’Epicure qui est entre zone de travail et restauration, réservée aux membres de l’EPFL. Malgré tout, ce n’est pas suffisant.
Cette limite s’est fait sentir au retour du Covid ?
Le Covid a créé une disruption majeure sur la manière dont le campus fonctionne et le nombre d’admissions n’a pas cessé d’augmenter. Même si on ne va pas tout mettre sur le compte des admissions et du Covid, je pense que ça a cristallisé les choses. Lorsque les personnes ont pu revenir sur le campus, on s’est rendu compte que nos murs étaient trop étroits. Mais les étudiantes et étudiants nous disent depuis plusieurs années qu’il n’y a pas de place dans les amphithéâtres. Il y a une dette en termes de nombre de places dans les auditoires qui ne date pas d’aujourd’hui.
Les projets de rénovation
Qu’est ce que le projet Double-Deck de rénovation de l’Esplanade dont nous entendons parler ?
Les rénovations regroupent la transformation et rénovation de l’Esplanade et le projet Double-Deck (DD) qui correspond à la rénovation de la Coupole. Double-Deck est un concours sous forme de mandat d’étude parallèle attribué à l’architecte Dominique Perrault et son équipe. Il y aura une augmentation de 1500 places étudiantes et 800 places de travail individuel qui permettra de rattraper une partie du ‘retard’. Ces bâtiments seront destinés à la communauté étudiante et verront le jour à l’horizon 2028. Après une étude de la VPA sur l’utilisation réelle des locaux, le vrai problème de disponibilité est dans les grands auditoires où nous sommes en dessous du seuil critique. Avec ce projet, nous aurons des auditoires modulables qui vont de 200 à 500 places pour les cours comme Machine Learning par exemple.
Est-ce que d’autres projets de construction sont en cours ?
Le second projet majeur est l’Advanced Science Building (ASB). Il est bâti pour l’académique : la recherche fondamentale voire appliquée. Cette infrastructure permettra des environnements très contrôlés pour les paramètres de température, de vibration ou d’électromagnétisme. Situé sur le Parking Colladon, il devrait être opérationnel en 2029. Il nous permettra de descendre dans les échelles de temps et d’espace très petites, pour la microscopie électronique avancée ou les expériences résolues dans le temps de physique. Si le projet Double-Deck répond à la problématique du nombre de places d’étude, l’Advanced Science Building est pour les laboratoires de recherche. L’ensemble des travaux du Double-Deck, l’Esplanade et Advanced Science Building valent plus de 300 millions.
La planification des travaux
Qu’avez-vous prévu pour la planification des rénovations ?
Le campus a 50 ans et environ 80 bâtiments qui sont très utilisés, c’est une ville de 18’000 personnes qui se remplit et se vide tous les jours. La confédération est propriétaire et il y a une obligation contractuelle de l’EPFL à maintenir le patrimoine en valeur d’état. Des moyens humains et financiers vont être alloués à la planification des rénovations, c’est une première. Le but est d’avoir une ligne directrice pour le renouvellement de 50 à 60 bâtiments. Le Masterplan des projets avec le calendrier prévisionnel et le budget est à trouver ici.
Comment allez vous gérer les travaux sans déranger les études ?
La rénovation va prendre du temps et sera échelonnée. Il s’agit surtout de laboratoires, les locaux d’enseignement représentent seulement 1/5ème du campus. Il y a un mot d’ordre : ne pas descendre en-dessous du niveau de service où on est aujourd’hui. Avec le Double-Deck par exemple, on va d’abord construire sous l’Esplanade pendant que les auditoires seront utilisés dans la Coupole. Ensuite, les enseignements seront transférés dans le nouveau et on rénovera l’ancien.
Les services académiques vont essayer d’organiser des activités plutôt dans les endroits du campus qui sont moins bruyants. On se rend bien compte que naturellement votre formation et vos futures perspectives professionnelles sont en jeu. Le but c’est que le campus et ses activités servent l’académique.
Et pour les locaux d’associations ?
Le projet Double-Deck ne permettra pas de garder les locaux des associations. C’est très difficile voire impossible de donner un local à chaque association. Il y aura tout de même un effort pour préserver des espaces comme un local à musique par exemple. Nous avons un souhait d’être participatifs dans les démarches et d’écouter les étudiantes et étudiants. Pour l’élaboration des projets du Double-Deck et de l’Advanced Science Building, il y avait des représentants de l’AGEPoly et on a fait des sondages auprès des étudiants. L’infrastructure devient un sujet de discussion plus ouvert.
Les défis de l’EPFL comme institut de recherche
Est-ce qu’il y a aussi un manque d’espaces de recherche pour les laboratoires, les chercheuses et chercheurs ?
Alors oui, on est toujours sous pression pour les m² pour la recherche. Dans les prochaines 20 années, on va devoir ajouter jusque 20’000m². Avec le temps la recherche évolue, un bon exemple est l’institut des matériaux. On a des bâtiments qui ont été construits il y a 20-30 ans, structurellement jeunes et en bon état. Ils n’auraient pas besoin d’être rénovés mais étant donné que les sciences évoluent tellement vite ; des espaces qui étaient faits pour faire du stress-test ou des essais sur matériau, maintenant il faut y faire de la chimie et des nanomatériaux. Pour que ces bâtiments continuent à remplir leurs fonctions, il faut changer leur vocation. Naturellement, on ne peut pas tout transformer d’un coup de baguette magique. Il y a toute une gestion qui est faite de façon admirable dans les facultés par les responsables d’infrastructures. Ces derniers gèrent ces locaux et nous disent ce qu’on transforme et à quel moment.
Ces projets sont importants pour que l’EPFL reste compétitive ?
Le but ce n’est pas juste de croître pour croître. En particulier en Suisse, on manque de main d’œuvre qualifiée, on manque de talents, alors on en attire beaucoup avec les écoles polytechniques. Ces talents demandent de l’encadrement, des professeures et professeurs qui ne viennent pas uniquement pour enseigner mais aussi pour faire de la recherche.
Quels sont les défis dans vos prises de décisions ?
Sur cette question de stratégie, de savoir sur quoi on investit. Aujourd’hui l’IA est partout, est-ce que demain elle y sera encore ou ce sera autre chose ? On crée des infrastructures sur une certaine durée puis on sait que ça va devenir obsolète et qu’il y aura une transition technologique qu’il faut anticiper. Ces décisions sont surtout pilotées par notre corps professoral parce qu’il a la vision sur l’état de la recherche. C’est l’innovation scientifique qui est en jeu. Investir au moment opportun est crucial et pour le faire, il faut aujourd’hui avoir l’infrastructure la plus agile possible. L’accélération du savoir est réelle, et donc comment savoir ce que sera le campus de 2035, ses défis et besoins. Certains sont connus, par exemple une ville de 25’000 habitants qui se remplit et se vide tous les jours, où les personnes se restaurent-elles, où logent-elles ?
En parlant de logement, qu’est-il prévu dans vos plans ?
Les terrains à disposition pour les activités académiques sont extrêmement denses et la priorité est donnée à ces m² là. Le canton et les communes nous demandent aussi de prévoir d’autres instruments qui peuvent offrir une capacité d’hébergement mais ce ne sera jamais des logements en masse. On travaille sur une mise à jour du Plan d’Affectation Cantonal en ce moment, c’est le mode d’emploi de la construction sur l’ensemble des terrains dont dispose l’EPFL et l’UNIL. Aujourd’hui on a 1300 places. Si le nombre d’étudiantes et étudiants double, il ne faut pas doubler mais planifier plus 60%, donc plus 200-300 places.