Lausanne-Genève en courant, contre la crise du logement

11 décembre 2024
Sophia Kovalenko
Rentrer chez soi en courant est ambitieux, surtout lorsqu’on habite à plus de 60km de son campus. Découvrez le portrait de 2 étudiants qui ont rallié Lausanne à Genève en course à pied. L’objectif de leur performance sportive était d’ouvrir le dialogue sur une problématique qui touche beaucoup d’étudiantes et étudiants : la crise du logement dans la région lausannoise.

Romain, 24 ans et André, 26 ans, habitent Genève, et ils se sont engagés à parcourir la distance qui sépare leur lieu d’étude de leur maison… en courant. Au total, ils ont parcouru 55 kilomètres, en 5 heures et 16 minutes. Actuellement en première année à l’UNIL en sport et domiciliés à Genève par manque d’offres sur place, ils doivent faire les trajets tous les jours. Tous les matins et tous les soirs, ils en ont pour environ 1h en voiture et 2h en train, et ils ne sont pas seuls dans leur cas. L’offre en logements à proximité des campus de l’UNIL et de l’EPFL n’étant pas assez élevée pour répondre à la demande. Selon le directeur du Service des affaires sociales et de la mobilité étudiante de l’UNIL, plus de 4000 personnes sont actuellement en attente d’un logement à la FMEL (Fondation Maisons pour Etudiants Lausanne).

Ce projet vise à sensibiliser le public aux conséquences de la crise du logement sur la qualité de vie des étudiants et étudiantes. En effet, le temps passé dans les trajets peut fortement impacter la santé physique et mentale des personnes. Les journées ne sont pas assez longues pour pouvoir étudier, pratiquer du sport et participer à des activités sociales tout en passant trois à quatre heures par jour dans les transports.

Avec les médias et les réseaux sociaux, ils espèrent pouvoir ouvrir un dialogue sur ces problématiques, encourager des solutions innovantes tout en promouvant l’activité physique.

D’où vous est venue l’idée de rallier Lausanne à Genève en courant ?

André et Romain (A et R) : C’est vraiment parti d’une simple discussion un matin dans les bouchons pour aller en cours. On avait besoin d’un challenge pour booster le début d’année. André a tout de suite fixé une date et le défi a vu le jour. Au début c’était simplement un défi sportif mais ensuite nous avons développé l’aspect logement. C’est fou car un matin dans les bouchons on en parle puis un jour on se retrouve sur l’Instagram de la RTS !

Pourquoi avez-vous développé l’aspect logement ?

A et R : Nous voulions utiliser le sport pour parler d’une cause plus grande que nous-même. On s’est dit que si on ne faisait rien, il n’y aurait rien. Si nous n’avions pas cet aspect, cette course aurait simplement été une performance sportive. Le thème du logement parle à plus de personnes. Ce qui nous a particulièrement touché c’est le nombre de personnes qui nous ont soutenu. Nombreux et nombreuses s’identifient à ça, pas que les étudiants et étudiantes mais aussi des personnes qui habitent loin de leur job.

« D’habitude on s’entraîne pour soi, la course est un sport plutôt individuel. Là il y avait un message et des personnes derrière, c’était touchant. »

Le soutien au départ au Centre Sportif de l’UNIL

Comment vivez-vous les trajets ?

A et R : Ça fatigue énormément. Le train est toujours plein, avec du retard etc. Nous avons de la chance de pouvoir venir en voiture, même s’il y a des bouchons. Ça réduit le coût et le temps, surtout qu’on est 2. On est conscient qu’on est privilégié d’avoir accès à une voiture. C’est sûr qu’il y a des personnes qui sont freinées de venir étudier dans une certaine université uniquement à cause des trajets. Cependant on ne se plaint pas, on savait à quoi s’attendre et on a voulu essayer de commencer le semestre en faisant les trajets. Mais nous voulions tout de même soulever la problématique pour celles et ceux qui sont dans une situation plus difficile.

Qu’est-ce que vous voudriez changer ?

A et R : Ce qu’on dit à tout le monde, c’est que ce n’est pas notre domaine de compétences. On a ouvert le dialogue avec le sport, on voulait montrer aux gens que c’est loin. De nos jours on pense que Lausanne et Genève c’est proche mais c’est une sacrée distance quand même. Mais on ne sait pas ce qui peut résoudre la problématique. Nous on l’a simplement constatée mais on ne sait pas ce qu’il y a derrière, on a juste vu que ça ne fonctionnait pas. On ne veut pas dénoncer mais on veut juste relancer le débat. Notre force est qu’on peut transmettre quelque chose à travers le sport.

Pourquoi la course à pied ?

A et R : On parle d’une distance entre 2 villes, donc il fallait un sport d’endurance où on fait un trajet d’un point A à un point B. On voulait matérialiser cette distance. Presque tout le monde a déjà eu un contact avec la course dans sa vie, c’est un sport accessible et à la mode en ce moment. Donc lorsque les gens voient que ça nous a pris plus de 5 heures, qu’il faisait nuit et froid, ils peuvent se rendre compte de la difficulté.

Est-ce que vous trouvez que le sport est le meilleur moyen de toucher les gens ?

A et R : Meilleur on ne sait pas mais c’est un bon. Le sport transmet des messages très forts. Il peut y avoir de grosses répercussions politiques. Si on avait parlé de la crise du logement sans la course, ça n’aurait pas eu le même impact, surtout qu’on ne propose pas de solution.

Est-ce que vous avez changé quelque chose à votre préparation physique ?

A et R : On avait un mois et demi de préparation. C’est très court, mais étant sportifs de base on s’est tout de même lancé dedans. On a réduit les sports de force et augmenté les kilomètres hebdomadaires.

Quels ont été les moments les plus difficiles pendant la course ?

Statistiques Strava de la course

A et R : Dès que le soleil s’est couché ça a commencé à être dur. Nous n’étions même pas à la moitié donc nous savions qu’il allait falloir courir encore un bon moment. Le froid n’a pas aidé non plus. En plus, il y a eu un long bout droit entre Morges et Nyon.

A : Je n’ai pas eu de problèmes au niveau mental, pour moi le plus dur c’était physiquement. Les longues distances ne sont pas ce que je préfère, je n’avais jamais fait plus qu’un marathon. Malgré la préparation physique que nous avions faite, c’était difficile. J’avais beaucoup de doutes au début, mais lorsque nous sommes arrivés à la moitié j’ai su qu’on allait y arriver.

R : C’était aussi la première fois que je faisais une aussi longue distance mais je n’ai pas eu trop de peine physiquement. J’ai déjà fait des longues distances en trail mais ce qui est difficile ici c’est le plat. Mentalement c’était dur. Avec André on se complète bien, on a eu des coups de mou à des moments différents et on a pu se soutenir, même si André a un peu trop parlé à mon goût [rires].

Qu’est-ce qui vous a le plus touché ?

A et R : Tout le soutien que nous avons eu. Il y avait une cinquantaine de personnes au départ pour nous soutenir, c’était incroyable et ça nous a donné un gros coup de boost. On s’est rendu compte à ce moment-là que les gens comptaient sur nous et que ça a touché énormément de personnes. Plusieurs personnes se sont jointes à nous pendant la course pour quelques kilomètres. Sur le moment on en avait marre mais ensuite tu as envie de refaire la même chose. L’arrivée était folle. Nos familles, amis et même des personnes que nous ne connaissions pas sont venues nous encourager. La fierté quand on a fini la course est une sensation qu’on aimerait revivre mille fois. Ce sont des moments qui restent gravés.

A : Mon petit frère a couru avec nous tout le long, il n’avait jamais fait une aussi longue distance non plus. Il m’a surpris et ça m’a énormément touché.

R : Pour ma part, un très bon ami de l’armée m’a fait la surprise et a fait tout le trajet avec nous aussi. Il s’est vu dans notre cause.

C’est vraiment parti d’une blague et ça nous a tellement appris.

Est-ce que vous aviez un plan pour médiatiser la chose ou bien ça s’est fait tout seul ?

On s’est dit que personne ne le ferait pour nous. Donc on a créé un document qui résumait ce que nous allions faire et qu’est-ce que nous cherchions à partager. On l’a ensuite envoyé partout : professeurs, université, journaux, associations etc. On a eu plusieurs réponses positives : le Léman Bleu, Blick et la RTS. On était choqués de voir que la RTS nous avait répondu. Ils ne nous ont pas interviewés mais ils ont fait un petit reportage en racontant notre histoire. Ils ont fait un super boulot, on ne s’attendait pas à autant. Ils ont compris ce qu’on voulait faire et ont utilisé nos termes et clips amateurs. On espère que ça peut motiver d’autres personnes à faire leurs projets, car on est juste deux gars lambdas qui se sont lancé un défi. Si tu ne fais rien, il n’y aura rien. Si tu le fais, peut-être qu’il y aura quelque chose et au pire tu auras essayé.

Ça fait quoi d’avoir eu autant de visibilité ?

A et R : Bon on n’est vraiment pas des stars. Ça n’a pas changé notre vie. Mais ça fait plaisir d’avoir des retours des gens dans la fac etc. C’est sympa et ça nous fait des vues mais ce n’était pas pour se promouvoir mais plus pour motiver les gens à faire quelque chose et c’est bien de voir que notre idée a de l’importance.

Mais c’était quand même beau et fou en même temps de voir nos têtes sur l’Instagram de la RTS et sur RTS sport au milieu de sujets mondiaux et de stars internationales comme Federer.

 

Est-ce que vous avez eu des retours sur votre lutte ?

A et R : On pense que c’est encore trop tôt. Mais plus le temps avance, plus les gens vont venir. Malheureusement on n’a pas eu d’offres d’appartement [rires] !

Est-ce que vous voulez continuer à organiser des événements comme ça ?

A et R : Nous connaissant, nous aimerions bien refaire quelque chose, c’est important de continuer de parler de la problématique du logement pour les étudiantes et étudiants. Mais la course était tellement bien et spontanée qu’on n’a pas envie de faire un autre événement directement par-dessus.

Pour finir, avez-vous une devise ?

R : C’est une phrase sortie du livre de Mike Horn : Si tes rêves ne te font pas peur, c’est qu’ils ne sont pas assez grands.

A : Pour ma part, c’est une autre version de « On ne vit qu’une fois » : On ne meurt qu’une fois mais on vit tous les jours.