« Je suis revenu plus motivé par les cours après ma pause que je ne l’étais avant. »

29 mai 2024
Pauline
Rappel : la semaine dernière, nous vous proposions un article sur la santé mentale de la communauté EPFL et la mise en place de nouvelles mesures dans le but de l’améliorer. L’une de ces mesures est la mise en consultation de deux ordonnances afin de faciliter les pauses durant les études. Nous vous proposons aujourd’hui de partir à la rencontre de deux étudiants : Loris et Antoine qui souhaitent nous partager leur expérience sur les pauses durant les études ainsi que leur opinion sur la proposition de modifier les règles qui les régissent.

Présentation de nos deux invités

Loris – actuellement en Master en sciences et génie des matériaux – a réalisé une pause entre le Bachelor et le Master en restant immatriculé à l’EPFL grâce au congé militaire – a profité de sa pause pour faire un stage en entreprise et ses obligations civiles.

Antoine – actuellement en stage après un Bachelor et un Master en génie mécanique – a pris une année sabbatique entre le Bachelor et le Master.

Quel est ton parcours à l'EPFL et quand l'idée de faire une pause durant tes études t'est-elle venue ?

L: J’ai suivi un Bachelor en MX qui s’est révélé plutôt intense. Au cours de la troisième année, j’ai un ami qui m’a dit qu’il allait faire une « demi-année sabbatique » dans le sens où il allait faire 6 mois de stage de master puis prendre 6 mois pour souffler un peu. C’est un moment où je commençais à avoir un peu de mal à enchainer les cours et où j’avais envie de prendre du temps pour moi. J’ai donc décidé de faire une pause à la fin de mon Bachelor.

A: Après mes 3 premières années de Bachelor, j’ai décidé de prendre une année de césure avant d’entamer le Master. Je pense que c’est quelque chose dont j’avais besoin après ces trois années et, notamment une première année assez intense pendant laquelle j’ai beaucoup travaillé pour me mettre à niveau des exigences de l’EPFL. Le fait d’avoir une bonne partie de mes amis qui soient partis en échange en 3e année a aussi joué dans mon choix.

 

Qu’as-tu fait concrètement durant cette année ?

L: J’avais entre autre décidé de faire cette année sabbatique car je ne savais pas trop ce que je voulais faire pour mon Master. Je comptais donc sur cette année et plus précisément sur le fait de faire un stage pour m’aiguiller un petit peu. De septembre à mi-novembre, j’ai donné des répétitoires, préparé la cérémonie de remise de Bachelor et passé du temps avec ma famille et amis. Suite à quoi j’ai fait mes deux semaines de protection civile obligatoires. C’est grâce à ça que j’ai pu demander et obtenir mon congé militaire pour le semestre et donc rester immatriculé à l’EPFL. Ce temps m’a aussi permis de chercher un stage, ce qui prend énormément de temps entre les recherches, le CV, les entretiens et les démarches administratives à l’embauche. J’ai ensuite fait mon stage obligatoire de Master de février à mi-juillet.

A: J’ai commencé ma pause à la fin de l’année académique 2020 donc en pleine période COVID. Je souhaitais de base aller en Nouvelle-Zélande mais les frontières du pays étaient fermées. J’ai donc dû adapter mes plans en fonction de la situation de la pandémie. J’ai décidé d’acheter une voiture et de partir faire un road-trip en Norvège pendant 5 mois. Je dormais une partie du temps dans ma voiture, et l’autre partie chez des gens en y faisant parfois du bénévolat. Je suis ensuite revenu quelque temps chez moi et je suis après reparti pour 5 nouveaux mois. Encore une fois, j’ai dû faire avec les conditions d’ouverture des pays et à ce moment-là l’Amérique centrale était une possibilité. J’ai donc décidé d’y partir, sac sur le dos, et j’ai visité le Costa Rica, le Guatemala et le Mexique. Je suis parti seul et j’ai construit mon voyage au gré des rencontres.

Loris lors de la cérémonie de remise de Bachelor
Antoine en Norvège lors d'un séjour en bénévolat
Guatemala: le volcan Acatenango en éruption

Qu'est-ce que cette année et plus particulièrement ton stage t’ont apporté ?

L: Le stage m’a beaucoup apporté. J’étais dans une start-up au sein d’une petite équipe. J’avais donc un impact direct sur les différents procédés sur lesquels je travaillais. J’ai également appris plein de choses que l’on n’apprend pas forcément dans les cours qui sont souvent très théoriques. Pendant mon parcours à l’EPFL, j’ai participé à une asso MAKE et la manière de travailler dans la boite m’a beaucoup rappelé ces asso. La seule chose qui changeait c’était la dimension budgétaire. A chaque fois que tu travailles, tu coûtes à l’entreprise donc il faut savoir quand c’est utile de continuer à perfectionner son travail et quand s’arrêter. J’ai donc appris à gérer ces notions de rapidité et de productivité. Cela laisse par contre moins de temps pour pousser les notions qui nous intéressent le plus.

Travail en salle blanche pour Loris lors de son stage

Qu’est-ce que cette année de voyage t’a apporté ?

A: Le voyage en Norvège était ma première expérience de voyage seul. Déjà au niveau de la préparation c’était un sacré engagement et puis il y a eu toute la période d’adaptation des plans en fonction de la situation sanitaire. Ça a été un bon apprentissage au niveau de la planification et de l’improvisation. Pendant le voyage, ce n’était pas tous les jours facile car je suis parti au milieu de l’hiver entre octobre et février. En Norvège à cette période-là les conditions météos peuvent être un peu rudes. Ça m’a fait prendre confiance en moi car je devais me débrouiller seul dans différentes situations comme par exemple pour trouver un endroit où dormir. Au fur et à mesure j’ai pris confiance en mes capacités et c’est quelque chose qui m’a servi par la suite. Partir seul en Amérique centrale m’a aidé à m’ouvrir et aller plus vers les autres. J’étais plus introverti et timide en partant que je ne le suis maintenant. Ça m’a également ouvert l’esprit sur les conditions de vie dans certains pays. J’ai rencontré pas mal de gens qui vivent dans la misère, ou de manière complètement différente de celle dont j’ai l’habitude ou encore qui ont des façons de penser totalement différentes. De base je partais plus pour le côté touristique mais ce qui m’a le plus marqué au final ce sont les rencontres.

Tromsø, nord de la Norvège: travail dans des conditions glaciales
Iles Lofoten: spot pour la nuit
Rencontres en Amérique centrale

As-tu rencontré des difficultés qu’elles soient académiques, administratives, personnelles, avant ou après la pause ?

L: Très peu, et au niveau de la motivation, je n’ai pas ressenti d’impact négatif. J’étais content de retourner en cours l’année suivante pour retrouver cette liberté de gestion de son emploi du temps. Ce qui m’a également motivé à retourner en cours c’est que dans les cours à l’EPFL, on voit énormément de notions et de domaines différents, ce qui n’était pas le cas durant mon stage.

A: Avant de partir j’étais vraiment motivé par le projet et j’avais la chance d’être soutenu par ma famille. Au niveau académique, la situation était un peu moins claire. Ce n’est pas du tout quelque chose qui est promu par l’EPFL et je ne connaissais personne qui était parti entre le Bachelor et le Master. J’avais entendu qu’il y avait cette possibilité mais je n’en étais pas totalement sûr. Ça n’a pas été facile de confirmer cette information et j’ai finalement eu la réponse par le guichet des étudiants. Après le voyage, j’étais assez motivé par retourner en cours. C’était le début du Master, je pouvais choisir mes cours. J’avais aussi l’impression d’être arrivé au bout de mon voyage. Durant le voyage, je vivais avec des objectifs à court terme mais j’avais besoin de trouver des projets à plus long terme. Et c’est ce que j’ai retrouvé en retournant en cours notamment avec un cours d’entreprenariat qui m’a bien plu et pour lequel j’ai continué un projet par la suite. On m’a souvent posé cette question mais non, je n’ai eu aucun problème de motivation et même au contraire je suis revenu plus motivé par les cours après ma pause que je ne l’étais avant.

Qu’est-ce qui a changé dans ta manière d’appréhender les études avant et après ta pause ?

L: Ce qui a le plus changé est ma manière de travailler. Avant, j’aimais être bien à jour dans tous les cours, toutes les séries alors que maintenant je me laisse plus de temps et je me fais plus confiance sur mes capacités à rattraper mon retard et à travailler sous le stress. C’est bien plus agréable que les années précédentes.

Aurais-tu voulu pouvoir réaliser cette pause à un autre moment? Ou en réaliser une deuxième ?

L: Je n’ai pas forcément eu envie de faire d’autres pauses. Je pense que la pause que j’ai faite a été au bon moment car les trois premières années ont vraiment été intenses. Je travaillais beaucoup et ne prenais pas beaucoup de temps pour moi donc ça m’a vraiment fait du bien et ça va mieux qu’avant.

A: Je ne regrette pas du tout d’être parti à ce moment-là, pour moi c’était le bon moment pour faire une pause. Par contre, je me rends compte maintenant que je suis en stage de fin d’études, que j’aurais bien aimé pouvoir faire une deuxième pause pendant mon Bachelor ou mon Master pour faire un stage. J’aurais pu faire ce stage durant mon année de césure mais ce n’est pas une option dont j’avais entendu parler. Je n’y ai donc tout simplement pas pensé. Je me rends compte maintenant que si j’avais fait un stage avant la fin de mon Master, j’aurais probablement adapté mon cursus académique et mieux choisi mes cours.

Quel est ton avis sur la mise en consultation des deux ordonnances ?

L: Mon avis personnel est qu’il ne devrait pas y avoir de règles aussi strictes sur quand et sous quelles conditions les étudiants peuvent faire une pause. Finalement le diplôme que l’on obtient à la fin est le même. Le plus important pour moi c’est de réussir à appréhender les notions que l’on t’enseigne, et que tu le fasses en 5 ans ou en 8 ans, cela ne devrait pas avoir d’impact. Si permettre aux gens de faire plusieurs pauses durant les études peut faire en sorte qu’ils se sentent mieux dans leur peau, qu’ils aient plus le temps pour faire du sport, sociabiliser et développer d’autres compétences alors ce n’est que positif. L’entreprise dans laquelle j’ai fait mon stage m’a proposé de continuer à travailler pour eux à temps partiel. J’ai pu accepter cette proposition grâce au fait que je puisse étaler mon Master sur des semestres supplémentaires. Ça amène vraiment une expérience supplémentaire que je n’aurais pas pu avoir si j’avais eu 30 crédits à chaque semestre. Pouvoir plus étaler les cours permet de faire plus de choses à côté et donc de développer de nouvelles capacités et connaissances qui sont également intéressantes d’un point de vue académique. C’est pour ça que je suis pour la modification des ordonnances. Pour moi ces règles ajoutent une pression qui n’est pas nécessaire.

A: Je pense que c’est bien de laisser cette flexibilité qui permet aux gens de faire une pause dans leurs études. Certaines personnes ont également des projets personnels à côté qu’ils soient sportifs, entrepreneuriaux, associatifs, et ce dès le Bachelor. Il faut juste que ça reste une option et non que ça se transforme en un allongement imposé des études. C’est un luxe financier de pouvoir allonger ses études donc il faut que ça reste un choix personnel.

Quelle autre mesure penses-tu que l’EPFL pourrait mettre en place pour améliorer la santé mentale de sa communauté étudiante ?

L: Avoir plus de temps pour soi et pouvoir mieux gérer son cycle d’études c’est le plus important selon moi : pouvoir s’écouter et accepter d’avoir parfois besoin de plus de temps sans qu’il n’y ait de conséquences académiques graves derrière. Pour moi la durée c’est le point majeur sur lequel il faut agir pour améliorer la santé mentale des étudiants. Je pense que l’EPFL a atteint ce rang là au niveau mondial grâce à la qualité des infrastructures, des professeurs mais aussi à la quantité de notions que les étudiants doivent apprendre. Je ne souhaite pas avoir moins de cours, moins de travail, mais plus de temps pour tout assimiler.

A: Avoir un cadre d’études agréable en verdissant le campus par exemple, et continuer les initiatives qui promeuvent le sport, l’alimentation. Je pense que c’est important de parler de comment être en bonne santé de manière générale notamment en parlant de sommeil, de méditation, de gestion du stress. Expliquer aux étudiants l’importance d’avoir une bonne hygiène de vie. C’est quelque chose que l’EPFL fait déjà donc je dirai continuer ces efforts qui me semble être essentiels. Je pense que le stress est aussi dû au fait que pas mal d’étudiants arrivent en première année sans trop savoir comment travailler et s’organiser. Donc continuer à améliorer l’accueil des premières années à ce niveau-là.

Rendez-vous la semaine prochaine pour une rencontre avec Kathryn Hess, vice-présidente associée pour les affaires estudiantines et l’outreach (AVP-SAO) et responsable de la Task Force Santé Mentale et Bien-être. Cette interview viendra clôturer le sujet et nous en apprendre davantage sur les mesures à venir dans les prochains mois.