« Il y a des changements systémiques à faire au-delà des actions palliatives»

05 juin 2024
Pauline
Pour clôturer notre série d’articles sur la santé mentale, nous vous proposons de partir à la rencontre de Kathryn Hess, vice-présidente associée pour les affaires estudiantines et l’outreach (VP-SAO) depuis 2021, responsable de la Task Force Santé Mentale et Bien- Être et accessoirement professeure de mathématiques. Nous avons discuté avec elle du chemin parcouru depuis l’idée de la création d’une entité dédiée à la santé mentale au sein de l’EPFL jusqu’à la mise en place de mesures. Elle nous dévoile également les prochaines étapes de son plan d’action ainsi que sa vision à long terme.
© Alban Kakulya 2022 EPFL

Qu’est-ce que la Task Force Santé Mentale et Bien-Être et comment est-elle née ?

Avant même de commencer comme vice-présidente associée, j’ai préparé ma rentrée en fonction. J’ai notamment rencontré l’AGEPoly et j’y ai tout de suite entendu des voix qui disaient : il faut qu’on fasse quelque chose pour la santé mentale sur le campus. A ce moment-là, c’était en plein covid et on avait beaucoup de choses à gérer. On faisait ce que l’on pouvait pour les étudiantes et étudiants sur le moment et de façon un peu urgente, sans une réelle vision à long terme. J’ai repris cette question sérieusement vers l’été 2021 et j’ai commencé à discuter de la santé mentale et du bien-être avec le corps estudiantin, mais également doctorant, enseignant, de toute la communauté finalement. Ça a vraiment été un moment révélateur pour moi. L’EPFL est une communauté donc si une partie de la communauté ne va pas bien, tout le reste de la communauté va en pâtir. J’ai donc commencé à creuser la question et regardé ce qui était fait ailleurs, notamment au sein des universités anglo-saxonnes. En février 2022, j’ai décidé de prendre cette question au sérieux en demandant à la Direction la création d’une entité dédiée à ça : la Task Force Santé Mentale et Bien-être.

D’où est venue l’idée de lancer l’enquête santé mentale et bien-être en novembre 2022 ?

Dans l’état d’esprit de notre école d’ingénieurs, nous voulions d’abord avoir une base quantitative avec des données au-delà de simples anecdotes. Le but était de quantifier, identifier les types de problèmes, les populations les plus touchées et les raisons. On a lancé un groupe de travail avec des gens de multiples horizons pour construire un sondage à faire passer à toute la communauté.

Qu’avez-vous tiré comme conclusions de ce sondage ?

Il y a environ un an, on a reçu le rapport du sondage avec l’analyse de toutes les données. Le sondage avec récolté environ 25% de participation, ce qui est assez élevé, et avec une bonne représentation de toute la communauté. Les gens ont senti que c’était important de se mobiliser autour de la santé mentale. On a pu quantifier les différences par exemple au niveau du taux de fatigue ou de détresse psychologique, déterminer les symptômes d’une mauvaise santé mentale, etc. On a aussi remarqué certaines choses qui allaient mieux que prévu comme l’éco-anxiété qui était autant répandue chez le personnel, que dans le corps enseignant et dans la communauté étudiante. L’étude est entièrement disponible en ligne ce qui permet d’avoir une discussion transparente et très ouverte.

En parallèle du sondage, d’autres actions ont-elles rapidement été mises en place ?

On ne pouvait pas attendre d’avoir ces résultats pour mener des actions. On a donc lancé la première semaine de la santé mentale fin 2022. L’idée était de déstigmatiser la discussion autour de la santé mentale, briser les tabous, créer un langage pour parler des problèmes qu’il y avait.

On a également eu une réflexion sur le type de formations de type « premiers secours en santé mentale » que l’on pouvait mettre en place Le but n’était pas de former des thérapeutes mais plutôt des samaritaines et samaritains au sein de la communauté, qui puissent panser une plaie en attendant l’arrivée des secours.

Un autre sondage sur la satisfaction au travail devait être lancé quelques mois après auprès du personnel. Certaines questions et réponses rejoignaient et venaient renforcer celles de l’enquête sur la santé mentale. On voulait donc se coordonner avec les Ressources Humaines qui travaillaient alors sur ce dossier.

Qu’avez-vous mis en place après ces deux sondages ?

A la fin de l’année 2023, on a obtenu la permission de la Direction de lancer ce qu’on appelle des Focus Groups. Leur but est de réunir des gens de tous les corps de l’EPFL sur quelques thématiques importantes qui sont ressorties du sondage.

Que font concrètement ces Focus Group ?

Il y a par exemple, le Focus Groupe qui travaille sur la thématique Études et Enseignement et qui est constitué principalement de personnes de la communauté étudiante, enseignante et doctorante. Les étudiantes et étudiants peuvent faire part de leur ressenti par exemple sur le stress négatif éprouvé par rapport à la charge de travail, la pression de performances et de l’autre côté les professeures et professeurs peuvent également faire part de leur stress sur par exemple la gestion des examens. Ils travaillent ensuite ensemble pour répondre aux problématiques venant des deux côtés. Ils sont arrivés à quelques propositions intéressantes. Un des mesures qui est en cours est l’assouplissement des conditions pour faire une pause dans ses études.

Où en est exactement cette mesure ?

Je vais la présenter en Direction mi-juin et normalement elle devrait être acceptée (NDLR: la mesure a été acceptée le 04 juin). Cette action est un bel exemple d’une action de type palliative. C’est le genre de mesures à court terme qui est proposée par le Focus Group Études & Enseignement. Je ne vais pas vous dévoiler ce qu’ils proposent car je le garde en priorité pour la Direction mais disons qu’ils proposent des choses plutôt radicales [rires]. Ça sera alors mon travail de faire considérer certaines choses auprès de la Direction et on l’espère, de les convaincre.

Et au-delà de cet aspect études et enseignement, sur quels sujets travaillent- ils ?

On a d’autres Focus Groups comme celui sur l’environnement physique qui travaille à identifier ce que l’on peut changer physiquement sur le campus pour le rendre plus agréable à vivre.

Un autre groupe réfléchit aux formations que l’on peut oIrir pour mieux soutenir la santé mentale. Il s’agit de ces formations de « premiers secours » mais aussi des cours sur comment donner un feedback constructif, comment gérer les attentes. Ça peut souvent être une source de stress pour les élèves car ils ne savent pas trop à quoi s’attendre au niveau de la charge de travail, comment ils seront évalués, etc.

Dans chaque groupe, le but est d’identifier 3 ou 4 actions concrètes avec l’estimation du temps de mise en place, la population touchée, etc.

Quand ces mesures pourraient-elles entrer en action ?

Début juillet, je vais présenter ces mesures à la Direction et demander leur accord pour lancer ces actions à court, moyen et long terme. Il y a des changements systémiques à faire au-delà des actions palliatives.

A quels changements à plus long terme pensez-vous ?

Dans un an et demi, deux ans, on pense refaire un sondage pour voir si ce que l’on a fait a eu un eIet positif. C’est un travail de longue haleine, je ne m’attends pas à un grand changement en l’espace de trois ans mais au moins à un changement qui va dans le bon sens. Il y a évidemment de nombreux facteurs que l’on ne contrôle pas comme par exemple la dégradation de la situation géopolitique mais l’on peut faire de notre mieux sur notre campus. Un travail beaucoup plus en profondeur est également fait sur les valeurs institutionnelles de l’EPFL.

Pouvez-vous m’en dire plus sur ce travail ?

Le but est de répondre aux questions de qui sommes-nous ? Quelles valeurs doivent être incarnées par les scientifiques que nous formons ? Un groupe travaille actuellement sur le processus qui servira à déterminer ces valeurs. On veut vraiment pouvoir écouter et atteindre toute la communauté. Pour l’instant on a regardé ce qui a été fait dans d’autres universités : ETH, MIT, Imperial College. A partir de-là, on souhaite construire notre propre méthode EPFL. Les travaux avancent très bien et je me réjouis beaucoup de voir les prochaines étapes. Il y aura également une discussion avec la Direction pour pouvoir lancer ce processus cet automne. On voudrait proposer aux gens d’avoir plusieurs manières d’interagir avec le groupe qui travaille là-dessus via des sites interactifs, des town halls, etc. dans le but que chacun puisse contribuer au sein d’un environnement dans lequel il se sent à l’aise.

Comment ce processus pourrait-il améliorer la santé mentale de la communauté ?

C’est lié à la santé mentale dans le sens où l’on réfléchit par exemple à l’acceptation de la prise de risques et l’acceptation de l’échec. Pour diminuer le stress négatif, il faut promouvoir un changement de culture qui accepte le risque de l’échec. Accepter l’échec est la seule façon de se permettre d’innover et d’aller de l’avant. Échouer fait partie de la vie et ce n’est pas grave. Je pense qu’avoir une base sur laquelle travailler avec des valeurs qui sont bien définies et des comportements attendus qui en découlent permettra l’éclosion d’un meilleur environnement pour le travail et les études à l’EPFL.

Le mot de la fin?

Je pense qu’une chose importante à savoir est que ça prend du temps. Parfois on a envie que les choses aillent très vite, encore plus à l’échelle de la vie estudiantine où l’on reste 5 ans sur le campus. Pour faire virer de bord un navire comme l’EPFL, il faut du temps et de l’énergie. J’ai déjà l’impression que parler de santé mentale est plus facile maintenant qu’il y a deux ou trois ans, il y a eu une vraie déstigmatisation. Quand j’ai commencé à introduire cette question, je n’ai ressenti aucune récalcitrance de la part des élèves. Par contre quand j’ai commencé à utiliser le mot « santé mentale » avec le corps professoral, il y a eu pas mal de réactions. Mais c’est important d’utiliser les bons mots et de continuer à parler de santé mentale.