On se souvient, premières années enfermée dans les couloirs austères du CE, cours de physique dans des auditoires pleins à craquer, charabia coriolisien, étudiantes et étudiants préssés parce que même quand on habite au vortex on se retrouve à accélérer le pas ; 8h25 c’est déjà tard, les toilettes sont toujours occupés, quelques personnes sont posés là ; il s’agirait de finir toutes ces séries.
Mais il arrive des jours où la routine epflienne se terre pour laisser place à la fête. Des jours ou plutôt des soirées et des nuits où les couloirs austères sont revêtus d’apparats : lumières rouges, bleues, violettes, bar, scènes, pratos et spanset, jacquets, signalétique, protec-visu… et j’en passe.
Ces nuits là ce sont quelques étudiantes et étudiants du campus qui les orchestrent.
Des meufs, des mecs de 19 à 25 ans, prétendant soudainement être technicienne de scène, responsable sécurité, directrice artistique. On joue le jeu de la vraie vie, on se donne des responsabilités pour se sentir vivants, utiles. On a envie de faire partie de quelque chose de plus grand, certainement.
De l’expérience ? Pas plus que ça. De la chance peut être ? Certainement un peu. De l’audace ? Beaucoup, parfois trop.
Des fois ça rate et puis quoi ? On relativise car on se souvient, que nos multiples casquettes sont temporaires et inventées, que dans la vie courante notre mission première c’est de mener notre barque sur un campus qui en demande trop, sans flancher, toujours garder le cap. On se souvient que tout ce que l’on fait c’est du bonus, alors on évite de trop se prendre la tête, quand ça ne va pas on prend un café, de nos mots on répare nos erreurs, et la machine redémarre…
Du travail associatif, et de quelle asso parlons-nous ? De la plus underground et alternative du campus, celle qui fait vibrer les murs de la polyv, tout en étant à l’écoute de son public, ARTIPHYS précisément.
Clôturant son édition 2023 le 17 mars dernier, le festival a réuni 1500 personnes, majoritairement étudiantes, UNIL-EPFL, amies d’amis de loin. Tous et toutes ce sont laissées porter par les ondes sonores rythmées provenant des quatre coins du CE.
Quand on laisse de côté la commerciale c’est vers la tech qu’on se tourne, stigmate générationnel, envie de s’émanciper, de laisser derrière soit les soirées à chier des années lycée.*
On ferme les yeux on se laisse porter, Narciss, Emma B, LyOsun, des noms compliqués pour des sets énervés et plus tard dans la soirée c’est Jaëss qui nous a cassé le cou à coup de voyage voyage remixé sur-rythmé. La foule ambiancée en a gardé un souvenir émerveillé, et des habits imbibés de bière, certainement.
C’est en une semaine que ces 26 étudiantes et étudiants ont bâti leur évènement, j’en fais partie donc je sais ce que je dis. Une semaine d’échanges sur-caféinés, sur-nicotinés, sur-dosés, travail – soirée – maté – appel radio à droite, jacquet à porter à gauche. Il fallait le monter ce putain de site.
Chaque personne doit endosser son rôle, jouer le jeu, on se montre assurant, personne ne doit savoir qu’on fait semblant.
4 pôles se répartissent les tâches, les logistiques manipulent les câbles, les transpalettes, les lights, les vaubans. Ce sont les amoureux de la technique, les maniaques de l’histoire, les fous en fait. Leur vocabulaire étayé provoque sur le visage des novices rictus et interrogations.
L’équipe communication s’occupe de l’image, elle gère la vitrine de l’asso, l’objectif : faire un sold-out. Grâce à une charte graphique travaillée l’évènement fait parler, on regarde le compteur d’abonnés s’emballer, heureux de donner les couleurs et l’identité de l’asso qu’on porte depuis des années.
Le pôle animation gère le cœur de l’évènementiel : programmation, bar, nourriture. Eux sont les bons-vivants, les fumeuses de clopes, les buveurs de bière; c’est à travers leurs yeux que se construit l’ambiance à faire tourner la tête de cette soirée au thème cinglé, Lavomatique très justement.
La semaine de montage c’est l’apogée d’un investissement annuel, c’est le moment où tout se joue. La salle polyvalente du CE sert de QG au comité, on y vie des moments forts.
Du matin jusqu’au soir, nos journées se passent en collectivité, café, déjeuner, dîner. Une fois la journée terminée la polyv se transforme en hall des fêtes, les responsables des bars sortent leurs fûts et leurs tireuse et de parts et d’autre de la salle les sonos diffusent la prog du festival, musique que l’on s’approprie avec fierté.
Des scènes s’y construisent comme par magie, les pratos s’imbriquent et laisse se révéler une immense plateforme qui accueillera des artistes arrachés. Les satellitiens et satelitennes maîtrisent l’art de faire des choses impressionnantes. Choses; par là on entend les structures de scène, le showlight, toutes les installations épatantes (oui oui, les personnes lors des concerts, planquées au fond de la salle derrière des panneaux de contrôle ressemblant à des cockpits d’avion, ce sont bien des étudiant.es). Look babos mais les idées bien en place, c’est en deux jours à peine qu’iels bâtirent les scènes du festival. Sans Sat on serait quand même bien dans la merde.
On les nourrit, on leur donne à boire car oui c’est à la bière qu’iels carburent, élevé.es dans l’antre au plus haut taux d’alcoolémie du campus iels ne sauraient se séparer de leur boisson de cœur.
Quand tout se termine enfin, que les préparatifs touchent à leur fin, on admire après d’intenses heures de rush les couloirs vides, attendant l’entrée des festivalier et festivalères. On se dit que le CE restera à jamais le CE, même après un investissement délirant. On aimerait plus, on aimerait mieux, mais les larmes montent aux yeux de voir la foule attendre avec impatience de rentrer. Chaque personne est à son poste. Staffs, sécuritas, responsables, artistes…
Et puis la soirée bat son plein.
Les fûts se vident, les verres aussi.
Les artistes se donnent, la foule se laisse porter.
Devant le drag-show, inédit sur le campus, les regards sont hypnotisés.
Les gens circulent dans un festival plus vivant que jamais.
Et quand les 3h sonnent, la fourmilière associative s’active et range tout de partout.
Staffs et comité carburent jusqu’à l’aube.
Il faut le démonter ce putain de site.
Ce qu’on appelle « staff » ce sont les personnes qui décident sur un coup de tête ou en ayant bien réfléchi, de s’investir le temps de la soirée ou de la semaine, pour aider le comité à assurer son évènement. Ils sont là pour porter les jacquets, poser les lights, finir la déco. Ce sont les petites mains sans lesquelles rien ne se ferait. Lors du festival iels servent les bières, assurent la sécurité, tiennent les stands, découpent les tickets d’entrée et font parfois preuve d’autorité quand, au bout de 5 groupes de vieux gars bourrés, on s’aperçoit qu’il s’agit de faux tickets…
Pourquoi faire tout ça bénévolement ? Pour la découverte, la curiosité, ou tout simplement parce qu’on sait que la soirée on la préfère dans le contrôle, dans la maîtrise des choses. Qu’on trouve plus amusant de servir des verres à tout l’EPFL plutôt que d’errer dans les couloirs du festival parce qu’on a encore perdu son groupe de potes volatile.
En plus d’une expérience précieuse, les staffs boivent gratuitement, sont nourris et repartent avec un tee-shirt serigraphié et designé par le comité, issus de la seconde-main, parce qu’il faut bien avoir des valeurs, essayer comme on peut.
Aparté sur l'engagement associatif
Quand on regarde un peu en arrière, pas moins de cinq ans plus tôt, la plupart des engagements associatifs ne faisaient pas partie du monde Epflien. On n’avait pas de protège verre, pas de safe zone, pas de comité attitré au poste de responsable prévention, pas de formation prévention…
Cinq ans plus tôt on criait sans se poser de question des slogans homophobes lors des journées d’intégration, welcome day ou autre évènement vitrine du campus. Cinq ans plus tôt si on ne se penchait pas sur le sujet on ne savait pas, on ne se doutait de rien puis soudain : paye ton EPFL.
Inspiré du mouvement « balance ton porc » découlant directement de « me too », ce compte Instagram fut la première plateforme d’expression publique de dénonciation, première fois que des voix s’élevèrent, parmi les étudiantes directement, pointant du doigt l’environnement sexiste et misogyne auquel de nombreuses femmes ont dû faire face durant leur parcours sur le campus.
Agissant comme une véritable claque de prise de conscience, en quelques jours tout le monde s’est mis à la page. Martin Vetterli et son équipe y compris, on leur doit l’arrivée de l’écriture inclusive et
de la campagne respect, disons pas grand-chose en réalité…
Puis ce fut au tour des assos festives de mettre en place des espaces de confiance pour leurs festivalier et festivalières, d’acheter des protèges verres pour empêcher l’intrusion de drogue, d’essayer de programmer autant d’artistes meufs que de mecs parce qu’on le sait l’industrie musicale est loin d’être sur du 50/50. Il a été décidé d’arrêter l’avion; à quoi bon faire venir des artistes des quatre coins du globe quand on sait la pollution que ça engendre et qu’on regorge de talents tout près…
Parce que tout le monde aime les frites, on pouvait arrêter la viande, « vegan food only ».
Il a été jugé qu’on pouvait éviter d’acheter des tee-shirts staff à des usines textiles qui battent des records d’émission de CO2, et dans lesquelles les conditions de travail questionnent l’existence des droits humains.
C’est vers Textura qu’Artiphys s’est tournée, un centre de tri de vêtements de seconde main, c’est dans les hauts de Lausanne qu’iels sont basés. Quand les vêtements sont en trop mauvais état ils vont dans des centres d’incinération ou sont fatalement envoyés en Afrique. Quand ils sont jugés de bonne qualité ils sont envoyés dans les friperies du coin. Ce qu’on leur a demandé c’est de nous mettre de côté des tee-shirts unis, blancs de préférence. Par la suite ces tee-shirts sont sérigraphiés par nos soins.
Méthode actuellement ultra répandue sur le campus, il s’agit pourtant d’un savoir-faire niche, réservé la plupart du temps aux écoles d’art. Pour expliquer simplement le processus, il s’agit de faire polymériser une résine photosensible sur un cadre grillagé, les motifs qui ne sont pas exposé à la lumière vont se détacher et la résine sur le cadre devient un pochoir que l’on dispose sur les tee-shirts et que l’on recouvre d’encre passant à travers le dit pochoir, formant le motifs désiré sur le vêtement. (Ok là on part sur un rapport de TP)
Dernière initiative en date : les chartes de bonne conduite des festivalier et festivalères, essayant de responsabiliser au maximum les fetârds afin d’éviter tout comportement déplacé. Utopique ? Certainement mais au moins on essaye.
Qui sait, peut-être qu’un jour on repoussera les limites de l’engagement féministe de l’associatif et qu’on réussira à mettre en place des espaces voir des scènes en mixité choisies dans nos festivals. On entend déjà au loin les contestations des plus dubitatifs, personnalités ébranlées dans leurs visions de la masculinité, ou amies d’amis au grand cœur qui de leurs « moi-je » déplacés se portent en étendards de l’égalité avec un grand E mais plus axé XY.
Engagement mais aussi organisation, calendrier à respecter, débats… l’associatif c’est aussi pleins de moments d’incertitude, des discussions avec l’EPFL, des négociations à droite à gauche, gérer la paperasse, respecter son budget tout en mettant en place des nouveaux concepts, être à l’heure, garder un œil sur les délais et garder le cap dans son propre semestre. Ne pas se laisser submerger mais se prendre au jeu, essayer de tirer du plaisir de cet engrenage immense.
Au final, au bout de cet investissement essoufflant il y a ce pour quoi l’on se donne, pour les retours émouvants des gens pour lesquels on organise ces évènements, les retours reconnaissants de l’EPFL, les discussions capturées à la volée dans les couloirs du campus, encensantes, et les artistes appréciant nos efforts et notre professionnalisme.
Quand on a compris les règles, le jeu on le joue bien, chaque année on le jouera mieux.
Bref, la 31ème édition d’Artiphys fut un succès. Je dédie cet article à celles et ceux qui ont donné leur énergie et leur temps pour créer cet évènement mémorable, des personnalités précieuses que je n’oublierais certainement jamais.
Maintenant on attend Balélec.