Flashback: l’histoire de l’EPFL

11 juillet 2025
Jeanne
Entre Coupole rénovée et Double Deck en chantier, le campus de l’EPFL continue de se transformer. Pour comprendre cette école en constante évolution, retour sur sa création, ses tensions fondatrices et les choix architecturaux qui ont façonné son identité.
ACV © Jean-Pierre Grisel

Étudier à l’EPFL, c’est vivre presque 7 jours sur 7 sur le campus. Il nous faut peu de temps pour que l’endroit devienne familier. Ses couloirs, ses amphithéâtres, ses cafétérias, ses laboratoires, sont rassemblés en un même lieu, multifonctionnel et hyper organisé. Mais le campus que l’on côtoie aujourd’hui n’a pas cessé de se métamorphoser depuis la création de la première version de l’EPFL, dans les années 70. Après avoir parlé de l’actuel chantier de la coupole, du futur chantier de l’Advanced Science Building et de la construction de l’ambitieux Rolex Learning Center, remontons dans le temps pour comprendre les origines du campus de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, où se marient architecture d’après-guerre et néo-building hyper futuriste.

Ancien Hôtel Savoy, Avenue de Cour, hôte de l'EPUL, 1944
Eleves de l'EPUL devant le Royal Savoy, 1944

Les débuts de l'école d'ingénieur

Tout commence en 1853, en plein contexte de croissance industrielle, quand l’École spéciale de Lausanne est fondée. Elle est alors la première à former des ingénieurs suisses de haut niveau. À l’époque, il n’y a pas foule : loin du microcosme actuel, son effectif ne comptait que onze élèves ! Pas de doute, à cette époque, on pouvait être certain d’avoir de la place en amphi… La popularité de l’école augmente rapidement : éducation exigeante, spécialisation et qualité d’enseignement construisent petit à petit une réputation d’excellence. C’est le début de l’enseignement des sciences de l’ingénieur, le début de ce qu’on appelle aujourd’hui l’EPFL.

Les années suivantes, l’école rejoint l’Académie de Lausanne et devient la faculté technique, puis l’École d’ingénieurs de l’Université de Lausanne (EPUL).
Après plusieurs tentatives d’accéder au statut fédéral, l’institution poursuit son développement, emménageant en 1944 dans l’ancien Hôtel Savoy, dû à l’ouverture de la section de physique. En 1953, l’école compte 500 étudiants et étudiantes, cent ans après sa création.

Emplacement de l’Université et de l’Ecole polytechnique en 1965, réflexions sur l'emplacement futur - 2019 (Isa Carvalho Rocha)
Vue aérienne des sites d'Ecublens et de Dorigny, vide, 1946 - map.geo.admin.ch

Le déménagement de l'école

C’est finalement en 1969 que l’EPUL accède au statut fédéral, l’école passe dans les mains de la Confédération Suisse et devient alors l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Pour répondre à l’augmentation rapide du nombre d’étudiantes et étudiants et à l’essor des sciences de l’ingénieur, un concours national d’architecture est lancé. Le but du concours: créer un nouveau campus universitaire pour l’EPFL. Surpopulation de l’école, travaux d’agrandissement… Finalement, nous ne sommes pas très loin des problématiques actuelles.

Mais à l’époque, les campus de l’EPUL et de l’UNIL étaient disséminés à travers la ville de Lausanne, ce qui rend impossible un simple agrandissement ; il faudra donc trouver un endroit assez grand pour y répartir les deux écoles. Ce sont les terres de Dorigny et d’Écublens qui vont être désignées pour imaginer le nouveau campus, étant les seuls lieux avec assez d’espace pour y accueillir les extensions futures des deux Hautes Ecoles.

Première page du journal Voix universitaires, mai 1968 - (UNIRIS/BCU)

Protestations étudiante

Le déménagement de l’Université s’inscrit dans un climat tendu, un climat de contestation étudiante. Nouvelle gauche, parti ouvrier et populaire de Lausanne, idéologie trotskiste, syndicalisme estudiantin… À Lausanne aussi, depuis le début des années 60, les étudiants et étudiantes militent pour une réforme de l’enseignement et pour une meilleure représentation au sein de l’université. Le déménagement de l’école, pensé sans leur consultation, cristallise les tensions.
Dans le journal Voix universitaires, utilisé pour diffuser les idées des étudiantes et étudiants et y sceller les débats et discussions avec le corps enseignant, on retrouve, dans la une de mai 68, un texte comparant Dorigny à Nanterre :

« Beaucoup d’étudiants lausannois ressentent le même malaise que leurs camarades de Berlin, Turin et Nanterre »

Les protestations étudiantes, ce n’est pas nouveau pour l’EPFL.
En réponse aux protestations étudiantes, les dirigeants des communes de Dorigny et d’Écublens exigent l’absence de logements étudiants sur le campus afin d’éviter d’éventuels « bastions révolutionnaires ».


Lors des réflexions autour de la création du campus, on retrouve une vraie méfiance sur la formule du campus à l’anglo-saxonne. Pourquoi ? Par crainte que les étudiantes et étudiants dorment et travaillent sur le même lieu, et soient ainsi quasi coupés de la vie lausannoise. Aujourd’hui, on se rend bien compte que cette volonté n’est plus d’actualité : la plupart des étudiantes et étudiants de l’EPFL n’ayant pas ou très peu mis les pieds à Lausanne durant leurs études.

Projet Zweifel + Strickler + Associés, Zurich, 1970 - Retenu
Projet Waltenspühl & Nierlé, Genève, 1970 - Non retenu

Le concours d'architecture

Le concours national d’architecture est lancé en 69, son cahier des charges est centré autour de trois grands axes : favoriser l’interdisciplinarité, penser aux agrandissements futurs, organiser la circulation automobile et piétonne.

Le cahier des charges du concours :

  • Livrer un projet assurant une flexibilité suffisante en vue des étapes successives de construction de l’Ecole.
  • Garantir la séparation des circulations automobiles et piétonnes sur deux niveaux reliés verticalement.
  • Penser une organisation spatiale qui favorise l’échange interdisciplinaire.
  • Apporter une réflexion plus globale portant notamment sur les problématiques du logement, des loisirs, des circulations et de l’articulation entre espaces publics ou semi-publics.

Le mandat pour la construction de la nouvelle EPFL est attribué au bureau Zweifel + Strickler + Associés en 1971. Pour gagner le concours, ils imaginent une structure en forme de grille modulaire de très grande envergure, s’étendant et se modifiant selon l’évolution des besoins. Ce système standardisé rappelle la rigueur de la typographie suisse, on comprend mieux pourquoi le rebranding de l’EPFL s’est fait avec du Helvetica.

Maquette du campus de Zweifel + Strickler, 19790
Photomontage réalisé par les architectes, les mur s'élèvent à 42m de haut, 1971

L'EPFL de Zweifel et la bataille des tours

L’EPFL selon Zweifel, c’est un plan de jeu plus qu’un projet figé. Sur un site vierge, il pose une grille, une trame claire, pensée pour être reprise et adaptée par d’autres. Le but ? Créer un campus extensible, capable d’évoluer avec le temps. Pour lui, l’architecte ne fige rien : il définit une structure, une logique, une typologie. À chacun ensuite de la faire vivre.

Un des problèmes de la proposition de Zweifel, elle comporte une série de tours, dont l’intégration dans le paysage fait débat. S’ensuit une série de protestation opposant la commune d’Ecublens, voulant protéger la vue du lac et l’EPFL, appuyé par la Confédération. C’est un véritable feuilleton médiatique qui s’est alors déroulé : la Bataille des tours. La population locale s’inquiète de voir débarquer un « Nanterre Vaudois » et reproche aux architectes de faire des photomontages trompeurs, où les tours apparaissent plus petites que dans la réalité. Après des recours, des contre-recours et quelques réunions secrètes dans les vignes, les tours sont finalement rabotées. La skyline de l’EPFL se transforme en bâtiment-ponts « ground scraper » et en architecture tapis, un compromis pragmatique évitant à l’école de s’attirer les foudres locales pour les générations suivantes.
On pourrait penser que ceci explique le côté tranche de fromage du rolex, bâtiment plus plat que plat, mais en voyant la taille du nouveau bâtiment de la RTS, on se dit qu’il y a des combats qui sont restés dans les années 70.

Montage des panneaux - Maureen Oberli

L'EPFL, un model standardisé

De prime à bord, on ne peut s’empêcher de trouver les couloirs du CE et du CM austères, ternes et un peu ennuyeux. On est loin des vallées enchantées du Rolex ou des escaliers entrelacés du MED. En se penchant sur la volonté des architectes, on comprend mieux le choix derrière ces containers gris.

Le modèle de l’EPFL est voulu pour être modulaire, adaptable et surtout pouvant s’étendre facilement. Tout est réfléchi selon une grille qui optimise la distribution des bâtiments. Une caractéristique propre aux universités allemandes d’après-guerre.  De plus, dans les années 70, les techniques industrielles imprègnent le secteur du bâtiment, ce qui ouvre la porte à de nouvelles techniques de production standardisées.

Les panneaux, en tôle d’aluminium, reprennent les techniques de la carrosserie automobile, le treillis tridimensionnel en acier, préfabriqué industriellement et omniprésent dans les bâtiments, uniformise l’école. Les volumes du campus flirtent avec la courbe. On y sent l’influence des années 70 et de la fameuse « soft line » : angles arrondis, façades concaves, bords tout en souplesse. Rien de brutal ici, tout est pensé pour épouser le terrain, mieux gérer l’eau, et même faire un clin d’œil à l’esthétique des carrosseries. Une rencontre entre le cube et la sphère, entre la rigueur architecturale et une certaine douceur formelle.
À l’EPFL, même les couleurs sont pensées comme un système. Les tons terreux – bruns, verts, gris-beige – ancrent les bâtiments dans le sol, pendant que le rouge, le jaune ou le bleu viennent réveiller les hauteurs. Une logique simple : en dessous de l’horizon, des teintes ternes ; au-dessus, des couleurs franches. Le tout obéit à une rigueur industrielle — anodisation pour les métaux, nuancier RAL en terrasse. Une polychromie ultra-codifiée: elle distingue la recherche de la vie sociale, structure le regard, et inscrit le campus dans son paysage.

Danièle Weibel, 1984, Le Matin

Fin du chantier: le constat

En 1984 les premiers bâtiments de l’EPFL sont achevés, après près de dix ans de travaux. À l’ouverture les réactions sont mitigées, l’incompréhension face aux choix architecturaux se fait sentir.
Le concept du bureau de Zweifel est celui de faire de l’EPFL une sorte de mini ville, tout y est pensé pour faciliter la circulation. Les bâtiments sont connectés entre eux par de larges couloirs, des passerelles, des niveaux superposés. Un vrai réseau urbain miniature où piétons, vélos et voitures cohabitent presque sans se croiser.
Mais le décalage de perception se crée rapidement, dû au surdimensionnement des axes, les usagères et usagers ont un sentiment de vide, l’absence d’une entrée principale incite les utilisateurs et utilisatrices à emprunter des chemins alternatifs aux axes majeurs.
On dit alors de l’EPFL qu’elle est « un peu trop repliée sur sa grande mission »

De plus, l’avis des collaborateurs, collaboratrices, étudiantes et étudiants de l’école sur sa relocalisation en périphérie est mitigé, bien que la proximité du lac soit attrayante, ils jugent :

« cette situation par rapport à la ville est équivalente à un isolement social et culturel empiré par l’assiduité au travail et les temps de trajets »

 

Vue aérienne de l’EPFL, 1992 (Médiathèque EPFL, photo Henri Germond © EPFL)
Vue aérienne de la diagonale, 1992

Lors de la deuxième partie de la construction du campus, les avis sont enfin pris en compte. Quatre demandes de changements sont actées:

  1. Remédier au problème d’orientation en rajoutant de la signalétique et en rabaissant le niveau de la circulation à l’étage +1
  2. Créer un lieu de rencontre commun, qui deviendra plus tard l’esplanade, où la vie étudiante pourrait se cristalliser et se développer.
  3. Reconnecter les bâtiments de l’EPFL avec leur environnement.
  4. Exploiter des ressources de l’énergie solaire passive.

Au final, la première étape aura su répondre parfaitement aux besoins pratiques de l’école, puisant clairement dans l’architecture académique d’après-guerre,  fonctionnelle, rationnelle, modulaire. Le projet de la deuxième étape, quant à lui, remédie au manque d’animation, au côté trop « bunker » de l’architecture initiale. L’Esplanade et la Diagonale se manifestent donc en rupture avec la grille de Zweifel, « ouvrant » le campus au monde extérieur. Une vue de l’évolution du campus année par année est possible sur cette carte interactive.

C’est cette deuxième étape de construction, en opposition à la première phase, qui entraînera le début de l’individualisation des bâtiments. Cette rupture rendra possible la construction du MED, du Swisstech, du Rolex… tous uniques et extravagants dans leur style. Et ce n’est pas près de s’arrêter, les nouveaux bâtiments continuent de fleurir, à la place des forêts d’Ecublens et de Dorigny, car comme dans les années 70 il faut faire face à la popularité, infiniment croissante, des sciences de l’ingénieur.

Bibliographie

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